dimanche 23 novembre 2014

Jacinto Lageira, Regard oblique : essais sur la perception


C’est une véritable respiration que nous propose Jacinto Lageira dans son ouvrage Regard oblique : essais sur la perception. Dans un premier temps, l’auteur convoque, rassemble, condense des références théoriques sur le sujet de la perception (Maurice Merleau-Ponty, Gaston Bachelard, mais aussi Robert Morris, entre autres). L’esthéticien dresse un panorama du sujet et, dans les essais qui viennent ensuite en enrichir la connaissance, nous invite à souffler, à élargir le regard en l’orientant vers une variété de pratiques et d’artistes sciemment sélectionnés (Marcel Duchamp, Giulio Paolini, Pep Agut, Thierry Kuntzel, Michael Snow, Peter Campus, Claire Savoie, James Coleman, Angela Detanico et Rafael Lain, James Turrell, Anthony McCall, João Fiadeiro et Julião Sarmento). Il serait peut-être plus juste de dire qu’à la lumière du premier essai (« Ouverture : dédoublement de la perception », p. 7-54), l’auteur nous invite à éprouver l’expérience de l’art, pour ensuite revenir au texte et relire l’ouvrage en boucle. Le « regard oblique » est actif à plusieurs niveaux : il s’agit de celui du lecteur tout d’abord, celui de l’auteur qui oriente, puis celui que Marcel Duchamp encourage dans sa dernière œuvre Etant Donnés (titre qui aurait pu être attribué à cet ouvrage) et dont Jacinto Lageira résout habilement certaines énigmes. « Regard oblique », encore, de l’Hortus Closus de Giulio Paolini, que l’on regarde regarder. Le jeu du regard se prolonge ainsi tout au long du parcours et même après. L’auteur explicite les processus dynamiques de la pensée, tout en nous faisant prendre conscience que le texte est figé, lui. C’est par ailleurs sa poésie, ses multiples rapports au corps, aux jeux de mots et aux traits d’humour subtils qui font de ce livre une merveille. La réussite est telle qu’à certains moments, le lecteur prend conscience que le regard qui parcourt les lignes ne lit pas, il danse. Et il est bon de se rendre disponible aux sensations que provoquent le papier sous les doigts, à l’incidence de la lumière sur les pages, à la plénitude en quelque sorte du présent. Jacinto Lageira invoque de nombreux détails, renvoie à ce que nous avons de très intime, sans jamais rendre cela anecdotique. L’esthéticien analyse, précise, ajuste, toujours avec une grande subtilité. Ici, l’exhaustivité est qualitative. La générosité de l’auteur se lit à la fois dans le volume et la qualité du travail de synthèse, de recherche et d’analyse qu’il a produit, ainsi que dans sa capacité à expliquer clairement ce qui relève de la complexité –que ce soit à propos d’artistes reconnus (des arts plastiques ou du champ chorégraphique) ou de représentants de la jeune création sur laquelle il existe encore très peu de textes théoriques. Dépassant la forme habituelle d’un livre d’érudition, l’auteur allie la rigueur scientifique à la profondeur, la sensibilité et l’humour. Les chemins empruntés orientent le lecteur vers une évidence que l’on aimerait vivre plus souvent dans des lectures dédiées à l’esthétique et à l’art contemporain.

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