mardi 15 novembre 2011

Passerelles entre les arts : la sculpture sonore

L'étude la sculpture sonore découle d'une réflexion sur la transversalité, d'un questionnement du concept d'art total et de son dépassement notamment chez des artistes tels que Robert Morris, Takis, Tinguely, Rauschenberg ou encore Len Lye. La majorité de la bibliographie sur le sujet traite de cette question par l'association de la peinture et de la musique. Sont alors cités les romantiques, et la correspondance des sens. Wagner et le concept d'œuvre d'art total (Gesamtkuntswerke) ou encore Scriabine.
De nombreuses recherches portant sur l' association entre sonore et visuel illustrent les rapports entre sonorité et couleur, sonorité et lumière ou encore forme et sonorité par le biais des théories de Kandinsky et de l'abstraction lyrique par exemple ou encore avec  les œuvres de Delaunay et son travail sur les ondes, Klee ou Mondrian, le musicalisme, etc. Il est vrai que la musique a été un modèle dans l'essor de l'abstraction, en peinture, vers 1910. La plupart des intuitions sur lesquelles se fonderont les intersections entre musique et arts visuels sont nées à la fin du XIXème siècle, moment où la classification académique qui divisait les disciplines artistiques en arts de la vue ou arts de l'espace (architecture, sculpture, peinture), arts de l'ouïe ou arts du temps (musique et arts du langage) et arts du mouvement ou arts de synthèse (danse, théâtre, cinéma), se révèle de plus en plus caduque et incapable de rendre compte des profondes mutations que connaît chaque discipline de pensée. Plusieurs   sens   se   trouvent   concernés   par   chacune   des   catégories précédemment  citées,   par   conséquent,   toute   tentative   systématique   de   classement   est inopérante dans les faits1. Les arts plastiques ne se restreignent pourtant pas uniquement à la peinture et les associations du visuel et du  sonore dans l'art du XXème siècle ne se bornent pas à des rapports métaphoriques : alors que les tableaux restent silencieux, les sculptures ne le sont plus forcément. Le nombre important d'expositions posant la question des rapports entre visuel et sonore dans les arts plastiques ayant eu lieu ces dernières décennies témoigne bien de ce décloisonnement et des nombreuses tentatives d'échange, voir d'osmose entre ces domaines qui n'ont cessé, au XXème siècle, de se ramifier et de se diversifier.2
A partir de l'éclatement des disciplines au XXème siècle musique et bruit, art et science, art et vie se mêlent. L'utilisation du son réel dans la sculpture fait son entrée au même titre que le matériau le plus pauvre ou issu de la récupération, de l'emploi du hasard, de l'évènement quotidien ou anodin notamment par les artistes dadaïstes dans le ready-made. Les œuvres défont le mythe des correspondances. Les avant-gardes ouvrent la sphère artistique à la vie sociale, publique. Comment rejoindre le spectateur, son quotidien ? Comment travailler à la lisière de l'art et de la vie ? Les futuristes russes et italiens exploitaient déjà l'idée de beauté mécanique et du bruit comme musique. Les avancées techniques (arrivée du magnétophone en 1939 puis  généralisation des procédés magnétiques dans l'industrie phonographique à partir de 1945), l'exploration du phénomène sonore, la musique concrète de Pierre Schaeffer ont permis de reconnaître les qualités plastiques du son. Le son devenu objet, matériau. Notons l'importance de la réflexion d'artistes comme John Cage ou la Monte Young ou du groupe Fluxus dans ce domaine. L'introduction du son réel s'inscrit dans une tendance générale à remplacer les jeux de l'illusion et de la fiction en sculpture par une expérience et un rappel au concret (à l'instar de la lumière ou du mouvement réel par exemple). Ces nouvelles composantes contribuent également à la dématérialisation de l'objet qui devient alors révélateur (de forces énergétiques ou poétiques par exemple). On assiste dans les années 1960-1970 à l'élargissement du concept de sculpture. D'une manière générale, on constate que les artistes de la seconde moitié du XXème siècle expriment des intentions fondamentalement différentes de celles qui ont été développées au cours des premières décennies. Il n'est plus tant question des correspondances, d'affinités sensorielles, d'analogies ou de métaphores entre les domaines du sonore et du visuel que d'une interpénétration de plusieurs champs d'activités. De tels objets auront fréquemment en commun de tendre vers une remise en cause souvent radicale des disciplines  existantes et des coupures jugées arbitraires qui en résultent. Ce n'est pas un art total qui est visé mais plutôt une coexistence de phénomènes éventuellement vécus comme disparates, hétérogènes, sans qu'il soit nécessaire de montrer des liens logiques entre eux. Les préoccupations plastiques des artistes agissent plus en tant que stimulateurs de l'activité physique ou mentale du public. De là découle une réflexion sur le rôle spéculatif de l'œuvre devenue vecteur, évocatrice de concept et d'idée. L'apport du mouvement réel, du son des odeurs, de la lumière va permettre à la sculpture de s'inscrire dans une dimension temporelle. Cette quatrième dimension a pour vocation de rendre le spectateur acteur de sa perception, de l'entrainer dans une dynamique d'élargissement sensoriel et sémantique. La sculpture se vit comme une expérience. Cette composante sonore permet donc aux artistes d'intervenir à propos de l'espace, du temps, de la perception. Cette passerelle entre art des sons et art des formes, permet à la sculpture d'élargir son approche phénoménologique. Le caractère immatériel (invisible) du son révèle la plasticité de l'espace qui est perçu. L'apport du son vient revisiter la conception traditionnelle de la sculpture en trois dimensions. L'expérience sonore vient poser la question du rapport au temps, de la durée. L'approche sensible de l'œuvre permet de jouer avec le temps (le dilate, l'accélère, le suspend, etc.). Le son joue sur la perception de l'œuvre, sur son aspect théâtral, sur son intensité (de l'infime au spectaculaire). L'emploi du son permet la mise à l'écart du visuel au profit des autres sens. Œuvres qui tendent à entretenir un rapport de captation avec le spectateur. La distance entre elles et lui s'anéantit. Le spectateur est englobé, absorbé. L'approche sensible de l'œuvre est bouleversée. Les  « nouveaux »  matériaux  (son,  lumière,  mouvement  réels) ont   aussi contribué  à   la  dématérialisation  de   l'objet   structural   et   des   forces   énergétiques   ont   trouvé   une application dans l'art tri­dimensionnel. De nouvelles formes sociologiques d'implication du spectateur dans le processus créateur ont fait leur apparition chez les sculpteurs. D'un côté le  développement  progressif de nouveaux outils. De l'autre la prise en compte toujours plus   importante   du   spectateur,   de   sa   participation   à   l'œuvre   qui   entraîne   une dynamique d'élargissement sensoriel et le conduit au-delà de la seule perception optique. Bien entendu, chaque sculpteur a une démarche et des motivations différentes quant à l'emploi de son   et   les   expressions   plastiques   sont   variées.   Pour certaines sculptures sonores, c'est la volonté de partager l'œuvre avec le spectateur, la spiritualité qui guident l'emploi du son alors que pour d'autres c'est sa dimension poétique et la mise en évidence des énergies cachées de l'univers qui motive son utilisation. Que le son accompagne volontairement un mouvement pour le souligner, l'accentuer, le théâtraliser ou bien qu'il soit issu d'un enregistrement, racontant une histoire, celui-ci est invisible et se déplace immanquablement dans le temps et dans l'espace. Il confère à la sculpture sa quatrième dimension, la dimension temporelle. Le   son   désigne  aussi  bien  un  phénomène  physique   que  psychique,  selon   que  l'on   considère   la sensation perçue ou la vibration sonore qui lui donne naissance. Tout son est temporel et  spatial pour nous. La vibration circule, est absorbée, est conduite, renvoyée. Notre corps, réagit comme beaucoup de matériaux, en absorbant les sons, à cela près que nous les ressentons. Le son remet perpétuellement en cause notre relation aux distances en nous faisant parvenir ce qui est derrière nous, derrière un mur par exemple. La vibration sonore transforme l'expérience que nous avons de l'espace et du temps. L'œuvre plastique ou musicale est nécessairement appréhendée dans l'espace et dans le temps. Cette correspondance   est   accentuée   par   l'importance   grandissante   accordée   ces   dernières   années   à l'expérience du spectateur, à l'approche phénoménologique de l'art. Les sons nous donnent des informations mais comme toute perception, ils sont aussi sources  d'illusions. Mais même s'il  s'agit  de   développer   l'importance   du   matériau   « son »   dans   le vocabulaire   plastique   contemporain, il ne faut pas minimiser   l'aspect   visuel   de   la   sculpture   qui   reste primordial.

 I / LES AVANT – GARDES ET LE REFUS DE LA CORRESPONDANCE

Les artistes contemporains ont déjoué les pièges de la correspondance des sens, des relations entre les arts et de la pluridisciplinarité en développant, souvent à l'aide des techniques et technologies, leur vision de plasticiens. Le but de ces artistes n'est donc plus la recherche d'une correspondance entre les sens ou bien une équivalence entre sonore et visuel. Les préoccupations plastiques des artistes agissent en stimulateur de l'activité physique ou mentale du public. Le concept d'œuvre d'art total est donc ici hors de propos. Le futurisme et le dadaïsme représentent les prémisses de telles démarches et font place au bruit et au silence. Ce mouvement artistique radical a engendré en plus de ses œuvres, un projet global de natures différentes. Les intentions créatrices   des   futuristes   impliquent   de   fréquents   entrecroisement,   les   modes   d'expression s'interpellant les uns les autres et brouillant les limites assignées à chaque domaine artistique. C'est sans exclure la musique, ou plutôt tout ce qui a rapport au sonore, avec l'invention de nouveaux instruments et   des   hypothèses   de   travail   vocal   qui   ouvrent   sur  une   extension  insoupçonnée  du domaine poétique, que les futuristes mènent leur projet. Pour Jean-Yves Bosseur, Le futurisme, mouvement des bouleversements artistiques a engendré un projet global de nature polymorphe et s'est attaqué violemment aux sacro-saintes valeurs de notre passé culturel. Un tel projet inclut bien sûr la musique ainsi que tout ce qui a rapport au sonore3. Les futuristes sont à l'origine de créations importantes telles que lyrisme synthétique, les mots en liberté, le dynamisme plastique, la musique enharmonique, l'art des bruits et la peinture des sons et des odeurs qui influenceront les artistes qui travailleront avec le son. Les artistes plasticiens et musiciens vont très largement reprendre au cours du XXème siècle la théorie futuriste de l'absence de fondement de l'opposition entre son et bruit. (John Cage ou encore Pierre Schaeffer et l'invention de la  musique concrète par exemple). Marcel   Duchamp   introduit   le   hasard   dans   l'écriture   musicale   (Erratum   musical)   et   John   Cage confirme cette attitude en accueillant dans le « silence » les bruits ambiants. À leur suite les artistes Fluxus mettent les disciplines artistiques sur un pied d'égalité. Objets et actes du quotidien deviennent les matériaux de composition musicales. Le   Dadaïsme,   illustre   également   les  prémices   d'une  quête  d'interactions   entre   les  disciplines artistiques.

À BRUIT SECRET, MARCEL DUCHAMP (Blainville-Crevon, 1887 – Paris, 1968)      1916. Pelote de ficelle, plaques de cuivres gravées et objet inconnu Collection Arensberg.
Il s'agit d'un ready-made aidé constitué d'une pelote de ficelle fixée entre  deux  plaques   de cuivre réunies  par quatre longs  boulons. A  l'intérieur  de la pelote de ficelle,  Walter Arensberg a ajouté secrètement un petit objet produisant du bruit quand on le secoue. « Et à ce  jour, je ne sais pas ce dont il s'agit, pas plus que personne d'ailleurs.»4
Un exercice orthographique sans signification particulière est gravé sur les deux faces du Ready-made  À bruit secret. Les flèches indiquent que la ligne se poursuit par la ligne correspondante de la face opposée. Cette phrase, au lieu de décrire l'objet comme l'aurait fait un titre, était destiné à emporter l'esprit  du spectateur vers d'autres régions plus verbales. Le choix des ready-mades ne fut jamais dicté à Duchamp par quelque délectation esthétique. Ce choix était fondé sur une réaction d'indifférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale du bon ou mauvais goût. Duchamp pousse la démystification de l'art et de l'artiste jusqu'aux implications les plus tranchées dans ce ready-made : pourquoi les sons ne seraient-ils pas eux aussi des objets trouvés ? Sa démarche   créatrice   implique   la  nécessité  d'un   renversement   des   valeurs   esthétiques.   Il   pose l'affirmation d'un « faire » artistique en tant que brèche dans l'univers du possible. Duchamp s'affranchit  totalement  de toute  contrainte  d'ordre esthétique ou idéologique. Duchamp avait souvent insisté sur l'importance du rôle du spectateur dans le processus créateur. « Somme toute, l'artiste n'est pas seul à accomplir l'acte de création car le  spectateur établit le contact de l'œuvre avec le monde extérieur en déchiffrant et en interprétant  ses qualités profondes et par là ajoute sa propre contribution au processus créateur. 5» et la même année il déclarait « Ce sont les regardeurs qui font le tableau. 6»

TACTILE SONORE, Yaacov Agam (1928 Rihon Letzion, Israël),  1963. (Ill. 12 et 13)
En 1960, Yaacov Agam crée son premier Tactile Sonore. Il  s'agit  d'une surface sur laquelle sont montés des éléments métalliques que le spectateur est invité à parcourir de la main pour en tirer un effet sonore. Les éléments métalliques montés sur ressorts s'entrechoquent à la moindre vibration en émettant chacun une note différente. Ainsi, l'énergie cinétique se transforme-t-elle en énergie sonore. L'objet fonctionne avant tout sur le mode de la désacralisation, de la destitution du monde optique, de la perception frontale et distanciée, au profit d'un monde haptique, réputé tribal. L'artiste souhaitait une musique que l'on ne puisse jouer deux fois, une musique permutationnelle7.  Le son résultant de cette action joue le rôle de contre modèle des métaphores musicales abstraites et épurées qu'il convoque au même moment dans ses compositions de grilles colorées aux savantes divisions mathématiques, tel le monumental  Hommage à Bach  (1963 – 1965, huile et aluminium ondulé, Paris, fondation Cartier). L'approche concrète du son dans ce Tactile sonore est intimement liée à l'expérience tactile. Avec Agam, le « regardeur » n'est plus impliqué dans l'œuvre par le seul biais de l'interprétation, il en devient co­auteur, au même titre que son créateur. Comme le souligne Arturo Schwarz8, l'œuvre n'est pas faite seulement pour être regardée, il faut en devenir partie, la toucher, participer activement à sa genèse, l'animer par sa propre volonté et non seulement par son regard. Agam écrit que sa recherche réconcilie l'Art et la Vie par la participation active du spectateur et sa prise de conscience du vécu dans le temps9 (grâce au son, à la lumière, au mouvement, etc.). Dans son idée de la participation, aucun acteur n'est privilégié. C'est l'idée de l'art comme moyen social de communication par la participation de spectateur. Agam s'est nourri des traditions hébraïques dans lesquelles la vie n'est que changement et devenir. Ainsi pour lui, aucun aspect de la réalité n'est définitif. L'œuvre peut se transformer selon chacun presque à l'infini. Dans la Cabale, le Talmud et tout l'ancien esprit judaïque, l'homme est associé à la Genèse, c'est à dire au processus de la création, des origines à aujourd'hui. « Si l'homme imite les autres, c'est un  homme-singe. Si l'homme participe à la création, c'est un homme-dieu. »10 Profondément imbu de la pensée traditionnelle juive, Agam fait remonter l'origine de cette pulsion égalitaire   au   type   de   société   communautaire   des   anciens   hébreux   (qui   ont   été   dans   le   bassin méditerranéen  les   premiers   à   abolir   l'esclavage)   où   toutes   les   activités,   intellectuelles   et   autres étaient exercées en commun. C'est à une société de ce genre dans laquelle les rapports entre ses membres avaient un caractère égalitaire et fraternel qu'Agam pense quand il déclare à François Le Lionnais :  « La notion  de  participation   du   spectateur   que   j'ai   recherchée   dans   mon   œuvre   a   une   valeur   d'expression artistique importante et peut influencer la société en créant des rapports nouveaux. »11


ORACLE, Robert Rauschenberg (Port Arthur, Etats­Unis, 1925),  1962 – 1965. (Ill. ) .
Oracle est une installation sonore dont chacun des cinq éléments comportent une batterie, un post-récepteur et un haut-parleur. Il s'agit d'une une sculpture interactive. Les récepteurs balayaient les longueurs d'onde des radios New­ yorkaises   ;   télécommandé   par   le   spectateur,   un   moteur   permet   de   passer   selon   une   vitesse variable d'une  longueur  d'onde à une autre, comme pour prendre au piège les messages sonores d'une ville. Les bruits de la métropole moderne constituent ici un matériau sonore dont le public peut faire varier la vitesse. Rauschenberg  mêle  art   et  technologie.  Il  ne  voit  pas  la  technologie comme   une   force   à   éviter   ou   l'influence   de   la  déshumanisation  de   la   société12.   Pour   lui,   la technologie est la « nature contemporaine »13  et il représente souvent les interactions  hommes  / machines dans son travail. D'après l'artiste, les problèmes environnementaux ou l'industrie militaire grandissante ne peuvent être résolus par à un retour à un mode de vie plus simple.  Les   éléments   qui   composent   l'installation   sont   autant   d'objets   de   récupération appartenant au monde de la « technologie quotidienne ». Des objets  banals, quotidiens, sortis de leur contexte, soustraits au rôle socialement codifiés. Ces objets « précaires » contrastent avec la technologie avancée de l'installation sonore conçue par l'ingénieur Klüver. Il faut rappeler l'influence décisive sur Rauschenberg de l'enseignement du compositeur John Cage au Black Montain College, son goût pour le mélange des catégories, l'ouverture de l'œuvre sur la vie. Ainsi, dès 1953, ses œuvres intègrent toutes sortes d'objets et de matières hétéroclites, n'appartenant pas au  registre habituel de l'art. Ces montages  où se  mêlent  objets  trouvés (bouteilles, chaises, ficelle, etc.), déchets, matières naturelles et journaux, Robert Rauschenberg les nomme « Combine Paintings »,   c'est   à   dire   des   œuvres   combinées   qui   évitent   les   catégories   (peinture,   sculpture, collage). Oracle est une transposition dans l'espace et le son de ses premières Combine Paintings : Rauschenberg avait déjà utilisé trois radios dans sa  Combine Painting  de 1959 « Broadcast » et dans une série de peinture de 1960 desquelles émergeaient des sons que chaque spectateur pouvait contrôler. Il avait   également   conçu   un   « environnement   sculptural »   dans   le   labyrinthe   du   Stedlijk   avec Tinguely et Niki de Saint Phalle, dans lequel il avait incorporé le son d'une pompe électrique qui envoyait de l'air dans un tube rempli d'eau et des horloges qui tournaient à des vitesses différentes. Oracle  représente l'aboutissement  d'une recherche sur les collages  sonores, destinés à entrer en contrepoints avec les collages visuels. Pour Jean-Yves Bosseur, Oracle permet de vivre et d'entendre la réalité dans ce qu'elle a de fondamentalement expérimentale. Pour lui, voir et entendre dans le présent rompt avec l'illusion artistique.14 Rauschenberg souhaitait créer une sculpture comme un orchestre dans laquelle le spectateur pouvait être le conducteur. Les radios diffusent une cacophonie, continuellement changeante, de sons issus du monde réel qui émanent de chaque pièce de la sculpture et ouvre un contact auditif avec la ville. Il est un concentré de sa situation. L'œuvre est à la fois finie et non-finie. Le son marque la présence du temps dans l'oeuvre. L'ambiance feutrée du musée est rompue par une circulation d'eau et de sons. Cette association est troublante par le contraste établit entre l'émission d'une musique naturelle et celle d'une musique fabriquée. Alan Salomon, dît à propos de cet ensemble qu'il reflète le sens de l'humour spécial de Rauschenberg, ainsi que son hilarant sens de l'absurde juxtaposition.15 Le son fait ici partie intégrante de l'intention de Rauschenberg de mêler l'art et la vie. La vie quotidienne avec des objets et des sons quotidiens. On capte simultanément Alger, Paris, Budapest, Milan. Les radios nous rappellent la dimension universelle du sujet moderne : le monde est un collage hétéroclite de sons simultanés et les sons que l'on entend ne se reproduiront plus. L'Oracle est ici une divinité bien précaire, le sens qu'il délivre n'est jamais définitif, la vérité est un devenir perpétuel. L'interrogation des relations de la Junk Culture et de la technologie, est cependant chez Rauschenberg plus tragique que ludique.


META-HARMONIE I, Jean Tinguely (1925, Fribourg, Suisse ­ 1991, Berne),  1978. (Ill. )
Dans le travail de Tinguely, la réalité visuelle des reliefs, dure et mécanique, bien que fugitive et en même temps difficilement  définissable, forme un contraste avec sa réalité sonore, déterminée par des mouvements saccadés,  prévisibles,   mais   pourtant   surprenant.  Ce   contraste   nous   montre   une   vérité   tant   matérielle   que  spirituelle. Rien du spectateur n'est défini à l'avance, ni son comportement, ni  ses refus, ni ses déceptions. Et son regard se fait nouveau, au milieu des sons. Thierry Dufrêne rappelle que l'actualité de l'art de la machine du milieu des années 1950 à la fin des années 1970, correspond à un moment de fusion entre les deux traditions de sculptures-machines, celle   issue   du   Constructivisme   et   celle   qui   vient   de   Dada.16  (La   machine   Dada   déroule   des inscriptions, fait des jeux de mots, sort de la routine avec humour et émotion.) Pour lui, Jean Tinguely se trouve au confluent de ces deux traditions.17 Méta-Harmonie témoigne d'une conversion burlesque et astucieuse des fonctions mécaniques. « [...] Les vieilles machines, celles d'avant l'informatisation et son cortège de  post­modernes machines à ordonner. Les machines de ce machinisme qui rimait avec ce qu'au temps de Marx on appelait la « grande industrie ». Un monde de courroies, de roues dentées, de crans et d'engrenages, de bielles,  de  manivelles, de clapets, d'arbres à cames, de vilebrequins, d'excentriques en tout genre, de ressorts  et d'échappement, de pistons, de cylindres, de câbles et de rotors électriques, de graisses, de gaz et  d'explosions, d'ajustages calculés au poil près. [...] Dans leur monde : du mouvement, toutes  sortes de mouvements. Rotations  – des tours de  roues, mais d'autres tours aussi ­ , translations, va et vient, balancements pendulaires, déclics et  enclenchements, percussions et cliquetis, embrayages et débrayages... Tout ce que la mécanique  sait   faire,   ce   pourquoi   elle   est   prévue,   plus   tout   ce   qu'elle   ne   prévoie   pas   malgré   le   efforts  incessants des ingénieurs pour le prévoir : ses ratés, ses échecs, ses maladies, sa propre mort  même. [...] Pas de manie cinétique là dedans ni ­ encore moins ­ de cinétisme ou, pire, d'art cinétique : la  mécanique, les machines d'abord; le mouvement parce qu'il est leur élément. »18 Le Constructivisme a joué un rôle important dans son travail tout comme dans celui de plusieurs sculpteurs qui se servent volontairement du mouvement pour créer des sons. Tinguely disait que le mouvement était une possibilité d'expression en lui-même, qu'avec lui, on pouvait faire des choses plastiquement différentes de se qui s'était fait auparavant.19 Tinguely   avait   rencontré   des   artistes   comme   Antoine   Pevsner ou Alexander Calder et avait été marqué par le caractère continuellement changeant de l'œuvre d'art et l'incorporation  dans   celle-ci   du   facteur   temps   (« quatrième   dimension »)qui traduisent   l'abolition   des   principes  artistiques traditionnels. Cela signifie un abandon total des valeurs sacrées de l'art antérieur. cela conteste   le   but   ultime   de   celui-ci   :   la   beauté   accomplie   et   l'ordre  éternel. L'œuvre d'art n'est pas une création finie, achevée (l'achèvement  de l'œuvre lui posait déjà problème dans la peinture), mais elle engendre sa propre vie dans la totalité de ses possibilités et donc l'œuvre d'art elle-même peut être créatrice. Comme à son habitude, Tinguely  créait  une œuvre à effet sonore imprévu qui se soldait par une cacophonie extraordinairement gaie (d'après Pontus Hulten). Les sons jaillissaient en rafale puis suivait un silence relatif durant lequel on entendait plus que le crissement des fils métalliques se frottant les uns aux autres, frottement qui évoquait d'après Pontus Hulten, le bruit des écrevisses au fond d'un seau.20 La série commence en 1978, Tinguely construit dans son atelier de Neyruz sa première Méta-Harmonie. Une structure tripartite faite de matériaux et d'objets de récupération en fer et sur roues, conçue comme une vitrine servant d'écrin à des rouages et à des objets qui produisaient des bruits. Les sons répétitifs sont produits au gré de la vitesse de rotation des roues. Tinguely   baptisait   ce   type   de   sculptures   :   « Ton-Mischmaschinen »   (« Machine   de   mixage acoustique ») et déclarait que le hasard déterminait les bruits. Méta-Harmonie dévoile ses mécanismes et leurs mouvements. Cette sculpture, comme les prochaines Méta-Harmonies, est réalisée d'un seul jet, lors d'une période brève et intense. Tinguely, a dit que ses plus belles pièces ont vu le jour alors qu'il ne savait pas très bien ce qu'il faisait, comme si elles provenaient de son subconscient.21 Pour Fata Morgana, Tinguely dira : « Je dérange tout par les sons qui se déplacent. Vous avez deux  ou trois percussions qui sont liées, mais si vous voulez de nouveaux entendre les mêmes séquences  de sons,  vous  devez  attendre  des années ».22  D'après  Jean-Yves  Bosseur, il y a là une manière d'introduire au sein du dispositif un certain désordre qui ouvre le projet sur une part de hasard. Tinguely dota chaque Méta-Harmonie d'un caractère sonore particulier, conférant à chaque coup sa tonalité entre le sourd et l'aigu, le ténu et le fort. Pour cela il utilisa beaucoup d'instruments de musique (piano, cymbales, cloches, gongs, tambours, grosses caisses, mégaphone, synthétiseurs, casseroles,   etc.).   En   d'autres   termes,   à   l'aide   des   mécanismes   les   plus   divers,   il   organisait   son matériel  sonore selon des idées musicales précises. Pourtant, ce n'est pas une succession de sons définissables   qu'il   obtenait   ainsi,   mais   un   champ   sonore   entrecoupé   de   rythmes   et   de   coups récurrents. La  Méta-Harmonie  fut  présentée à l'automne  1978  à Bâle, dans  un vaste  hall  d'usine  désert,  à l'occasion de la « Hammer-Ausstellung » organisée par Felix Handschin. L'univers   acoustique   singulier   et   dissonant   de   cette   machine   fascina   les   visiteurs   et   incita   le collectionneur et mécène Peter Ludwig à s'en porter aussitôt acquéreur. Le   musicien   Paul   Sacher   acheta   immédiatement   après   la   Méta-Harmonie   II   qu'il   offrit   à   la Fondation Emanuel Hoffmann à l'occasion de l'inauguration du Musée d'art contemporain de Bâle. Le titre, humoristique, est le contraire de la sculpture. En effet, Méta-Harmonie n'est pas du tout harmonique. Tinguely comme Klein, croyait en la suprématie de l'art, suprématie qui ne pouvait être atteinte que par la dématérialisation de l'art et du concept de l'art. C'est donc pour dématérialiser l'art que l'artiste utilise des matériaux comme le son. Pour Françoise Bertrand Dorléac, la machine n'a plus le même statut que dans les années 1910  – 1920. En lui faisant jouer le rôle d'un artiste, Tinguely fait d'elle la servante d'un grand jeu de hasard et d'échange improductif.23 Tinguely   a   consacré   toute   son   énergie   au   problème   de   l'art   en   tant   que   destruction   et   de   la destruction   en   tant   qu'art.24 Ainsi,   la   Méta-Harmonie   serait-elle   destructrice   de   musique traditionnelle, dans l'esprit des intonarumori de Russolo. Elle parodie cette musique traditionnelle. Conscient de la fonction ludique des sculptures de Tinguely qui emprunte en partie à l'esprit du carnaval   (il   pratique   celui   de   Bâle   avec   assiduité),   Pontus   Hulten   insiste   aussi   sur   leur   génie corrosif, dans un monde en voie d'être dominé par la précision de la technique et des médias. Il voit son art comme « révolutionnaire », un « fragment de vie pure » oscillant entre l'idée qu'il n'a aucune finalité et que c'est là sa beauté, « qui n'a pas à signifier d'avantage qu'un rat ou qu'une fleur »25. « Nous arrivons à un nouveau concept de l'art, nous jugeons de la valeur des  œuvres d'art à ce qu'elles produisent et non plus à leur aspect en tant que sculptures. Tinguely fait  de l'art parce que c'est une forme de vie. »26  Avec Méta-Harmonie, nous avons vu que l'utilisation du son dans la sculpture s'inscrivait pour une part dans la tradition constructiviste, le son est créé par le mouvement. Le son est utilisé pour amener une part de hasard ou encore  dématérialiser  la sculpture mais aussi pour donner un côté spectaculaire à celle-ci ainsi que pour rassembler l'art et la vie.

UNIVERSE, Len Lye (1901 Christchuch, Nouvelle Zélande – 1980, New­York), (1963–1976).  (Ill. )
Universe  est   composée   d'une   longue   bande   de   métal   courbée   en   un   cercle   de   2,50   mètres   de diamètre. Un aimant logé dans le socle attire le haut de la bande vers le bas jusqu'à ce que la résistance du matériau provoque un mouvement inverse. La bande supérieure vient alors frapper une boule de liège, suspendue au bout d'un élastique au sommet du dispositif. C'est à une véritable respiration magnétique qu'assiste le spectateur, une  respiration dont le rythme est soumis au hasard des lois physiques. »27 De même que sa sculpture, les films de Len Lye reposent tous sur une élaboration conjointe de l'image et du son, où le rythme, sorte d'interface entre le registre visuel et le registre acoustique, donne à percevoir une nouvelle formulation de la synesthésie. Les sons que produisent ses sculptures sont évidemment fonction du mouvement. Ils sont indissolublement liés à la résistance qu'oppose la sculpture à la force qui veut la faire bouger, à l'air dans lequel elle se déplace.28 Ces sons constituent ce que Len Lye appelle un « mouvement sonore », au sens où , « en termes de lumière, de couleur, de son, d'atomes, [...] rien de physique n'existe dans un état  statique. [...] Un mouvement exactement rendu [...] maintenant temporairement l'esprit dans une conscience absolue de la vie ».29 Len Lye, est marqué par les cultures polynésiennes notamment Samoane et Maorie dont on retrouve l'influence dans ses œuvres. Son travail a été très novateur dans les domaines du cinéma, de la photographie et de la sculpture et il a accordé une place très importante au son dans son œuvre. Lye a consacré une partie de sa recherche à ce qu'il appelle le « vieux cerveau », partie archaïque de l'être humain qui conserve la trace de temps et de comportements immémoriaux. Son primitivisme est la clé de voûte d'un art à vocation universelle. Sa sculpture cinétique, tout comme ses films expérimentaux, est basée sur le concept de « new art of motion » (nouvel art du mouvement) qui intensifie le sens de l'empathie physique. Les  sculptures  cinétiques  de Len Lye utilisent  tout  d'abord des  moteurs  : c'est le cas de Grass (Herbe) en 1961, composée de tiges métalliques montées sur un support, qui s'entrechoquent lorsque l'objet est activé. Les  électro­aimants  deviennent un outil expressif plus spécifique à partir du milieu des années 1960. Ils permettent de rendre le poids, la masse physique de la sculpture et sa résistance, partie prenante du mouvement, tandis que celui-ci est amplifié par l'effet de marteaux. Comme   Rosalind   Krauss   le   souligne,   lors   des   années   1960,   on   produisit   de   plus   en   plus   de sculptures cinétiques et la mécanisation interne de l'objet fut mise en oeuvre pour toucher les zones les   plus   diverses   du   spectre   émotionnel.   C'est   en   effet   aux   sens   et   en   particulier   à   l'ouïe   que s'adressent les sculptures sonores. Les sens créant des émotions chez le spectateur. Pour elle, le battement des formes mobiles contre les limites des volumes virtuels qu'elles engendrent crée un vif sentiment de violence et d'agression. Programmées comme des automates et mises en actions lors de sessions   spécifiquement   organisées   en   tant   que   performances,   elles   se   mettent   en   scène   elles­ même.30 Les sculptures de Len Lye ont un pouvoir d'une dimension métaphorique, évoquant les pulsations de la nature et le chaos, l'inimitable qualité de l'expérience vitale, comme s'il reflétait l'accidentel sans le   programmer.   Il   suggère   les   principes   biologiques   non   complètement   compréhensibles   par   la science. Universe  est composé, comme bon nombre de ses sculptures au langage formel épuré, de deux éléments : d'un ruban métallique long et d'une boucle. La question du mouvement en tant que véhicule énergétique est le noyau de l'œuvre de Len Lye, dont la mythologie personnelle a été nourrie par la biologie et les découverte génétiques du XXème siècle.31 Le mouvement de la bande métallique de Universe crée une forme dans l'espace qui s'efface aussitôt. Contrairement à l'idée de Kandinsky pour qui la forme est l'extériorisation   d'une   spiritualité   judéo-chrétienne,   Len   Lye   (qui   porte   le   bagage   des   cultures primitives océaniennes maorie, samoane et aborigène) croit au principe de d'auto reproduction qui explicite l'ensemble des représentations que l'artiste peut produire. D'après cela et selon J- M. Bouhours, l'oeuvre est alors la finalisation symbolique d'une impulsion cellulaire,   ce   que   Bergson,   dans   l'Évolution   créatrice   pointait   comme   l'élan   vital,   dont   la représentation échappe à notre pensée logique. Chez Len Lye, cette auto reproduction relève du paradigme biologique. L'acte artistique soumis au déterminisme  de notre univers (et en particulier de la matière des cellules  vivantes)  fonctionne comme un « code ». A   l'inverse   des   surréalistes   dont   les recherches   sur   l'inconscient   devraient   permettre   d'élaborer   une   pensée   libérée   des   perceptions sensorielles immédiates et d'un langage sclérosé.32 L'automatisme de Lye réanime les sensations physiques, biologiques, génétiques, enfouies dans l'être. La force vitale représentée sous forme d'énergie, de mouvement, de son, l'emporte sur la mort et l'inertie. D'après Len Lye, notre capacité à contrôler le mouvement et la liberté innée que nous avons de l'exercer sont la source organique de notre sentiment de liberté. Avec  Universe, il   joue  avec  notre perception   du poids  physique  et  l'accentue  à  l'aide de  notre perception auditive. Le son peut donc servir à accentuer nos perceptions de la sculpture ainsi que la théâtralité de ses mouvements. L'artiste   compose   avec   le   mouvement   comme   le   musicien   qui   transpose   les   sons   en   thèmes musicaux.  Universe nous rappelle inconsciemment ou symboliquement l'univers, ses mouvements, son énergie et les sensations qu'il procure à l'homme depuis ses origines. Le son semble être ici le témoin de cette énergie, le témoin du mouvement. « Je crois rendre indirectement hommage à l'énergie, particulièrement à la  forme de son individuation avec un raffinement du processus que l'on appelle l'émotion esthétique.  Les   scientifiques   semblent   se  référer  à   l'individuation   de   l'énergie   quand   il   parle   de   la   force directrice de l'évolution. Je crois que cette force, quelle qu'elle soit, est la même énergie que celle  qui conduit l'imagination créatrice; mais je ne pense pas que l'énergie créatrice soit un pur produit  du cerveau, entièrement sous son contrôle. Je crois qu'elle résulte de la force évolutionniste de  l'individualité, filtrée à travers la matrice du type d'individualité auquel nous appartenons sur le  plan tempérament – type qui inclus le patrimoine génétique et les sens physiques dont notre corps  est porteur. »33 L'énergie est l'essence même de notre individualité, elle sert à la perfectionner, à la symboliser, à la servir.   D'après   Len   Lye,   l'expérience   psychologique   de   cette   essence   est inconsciemment   et symboliquement imprimée dans les œuvres d'art. L'animation   de Len Lye est  une forme de surréalisme  abstrait  plus  proche de l'esthétique   anti-industrielle,   mystique   et  transcendantale  de   l'école   de   New-York   et   non   un   hymne   à   la mécanisation. Son intérêt pour le jazz est également à rapprocher de celui pour ce mouvement. (Il relie son esthétique au « minimalisme » de compositeurs comme Steve Reich). Il baptise « sculptures en mouvement tangibles » ces œuvres réalisées entre 1959 et 1963 ; les cycles répétés qui les animent étant une projection physique de la notion de film en boucle (il s'agit d'une conception de la sculpture d'un cinéaste expérimenté). Un crescendo de mouvements accélérés termine le cycle dans un paroxysme violent. La métaphore sexuelle de l'orgasme est un élément central de cette sculpture. Lye parlait souvent de la différence entre le « nouveau cerveau », c'est à dire l'esprit théoricien, intellectuel et cartésien, et le « vieux cerveau », dans lequel sont stockées les données instinctives et génétiques qui constituent le mémoire de la race humaine. « Mon rapport à moi même est toujours corporel ». « Je ne travaille qu'avec le sentiment de quelque chose de magique, quelque chose qui paraît avoir une signification. [...] je  cherche juste à obtenir l'effet hypnotique de cette chose qui semble avoir une signification, sans savoir pourquoi. »34

Takis,   réactive également  les   notions   de   vibration,   de   rythme, d'harmonie et la question d'énergies cachées dans l'univers. Panayotis Vassilakis dit TAKIS (1925, Athènes), MUSICAL, 1979. (Ill ).
« Un aimant frappe violemment la tôle – un courant direct et alternatif met la  tôle en mouvement, le mouvement créant la vibration du son. La tôle est frappée toujours au même endroit – une aiguille frappe une corde – toujours au même  endroit – un courant direct et alternatif met la corde en oscillation. Corde et tôle sont frappées au même endroit et vibrent par le courant direct et alternatif. Mis ainsi en mouvement les deux éléments créent un son puissant. Un son provoqué par un coup puissant. Si on frappait corde ou tôle aux différents endroits, il y aurait différents sons. Les sons ne devraient pas être différents : l'aimant doit frapper tôle et corde toujours au même  endroit.35 » Le grec Takis va accorder au son une place primordiale. Il est pour lui un des éléments constitutif de l'espace, ce « champ de rencontre de tous les possibles »36. Ses sculptures se présentent comme des œuvres d'art total où le bruit, la lumière, le mouvement deviennent spectacle. Il se définit comme un expérimentateur. C'est en 1963 que l'artiste inscrit techniquement les moyens d'une émission sonore délibérée dans ses premières sculptures musicales sous la forme de pendules magnétiques, composés d'une boule et d'une tablette de liège avec des intérieurs magnétiques ; la fonction des objets de liège étant de se heurter l'un l'autre quand ils vibrent, puis de frapper  la tablette d'un coup assourdi. Ses sculptures musicales se rapprochent de la musique aléatoire et en particulier du travail de John Cage qui ira jusqu'à rechercher la non intentionnalité. La « démission » du compositeur devant les lois du hasard dans un refus de toute codification peut se retrouver chez Takis qui, par le choix des matériaux et leur disposition dans   l'espace,   détermine   les   sonorités   alors   que   les   impulsions   électriques   se   déclenchent   par l'intermédiaire   d'un   interrupteur   thermique   qui   permet   d'éviter   toute   programmation.   Ces installations   sonores   sont,   d'après   Jea-­Marc   Prévost,   en   prise   directe   avec   la   nature   même   de l'espace, à l'image de la musique concrète où la composition devient un acte purement physique.37 « Mes « Musicals » ne sont pas composés ; même si je détermine un grand  nombre  d'aspects  au moment de leur construction, je laisse malgré tout une certaine place  au  hasard. Mon intervention réside essentiellement dans le choix de la corde, de sa longueur, de la  force magnétique pour frapper la corde. Dès le moment où vous mettez l'instrument en marche,  c'est   lui   qui   agit,   qui   fonctionne   en   grande   partie   par   lui   même.   C'est   alors  presque  une composition musicale. Si l'on me dit que je suis musicien, je réponds finalement : « oui, pourquoi  pas ? ». Je suis un musicien qui fabrique son instrument ; en retour, l'instrument me transforme en  musicien. »38 Mais   Takis   ne   considère   pas   ce   qu'il   fait comme   de   la   musique   car   le   son   est provoqué   par   hasard,   par   le   champ   magnétique.   Pour   lui,   seules   les   possibilités   de   mettre   en évidence un monde qu'on ne voit pas l'intéressent et pas vraiment le résultat.39 Il ne se considère d'ailleurs pas comme un musicien : « Si je  connais  l'alphabet  de la sculpture,  je ne connais  pas  celui  de  la  musique. Que le son produit par mes sculptures ait un intérêt musical, je l'admets volontiers. Mais  quelqu'un comme Cage compose en musicien même le  hasard.  Moi pas, et je n'ai pas envie de  contrôler parce que je ne suis pas compositeur. »40 D'ailleurs, ce qui fait qu'un  Musical  de Takis est une sculpture sonore et non un instrument de musique   est   que   c'est   son   aspect   visuel   qui   prime   sur   son   aspect   sonore   au   moment   de   sa conception. Takis ne  connaît  pas le son de ses sculpture avant de les avoir fabriquées, il le découvre avec la sculpture et ne le programme pas. Chaque unité est indépendante et marche avec un interrupteur thermique.  Les   intervalles   entre   les   fonctionnement   de   l'aimant   varient   sans   cesse. Chez Takis, le son des forces magnétiques intrigue non seulement sur le plan poétique, mais aussi sur le plan méta-scientifique car il fait allusion aux énergies cachées de l'univers. En effet, il n'est pas sans connaître la théorie pythagoricienne de l'harmonie des sphères qui part de la constatation que si objet en se mouvant assez rapidement émet un son, il doit en être de même pour les astres et qu'il est donc possible de retrouver dans le système céleste les consonances de la lyre. Mais comme le souligne Jean-Marc Prévost, il est bien difficile d'entendre cette harmonie car nous n'avons cessé de l'entendre et qu'un son n'est perçu que par rapport au silence.41 Takis écrit dans sa biographie : « Ah ! Si seulement je pouvais, avec un instrument comme le radar, capter la  musique des sphères. Cette idée me fait oublier toutes les lois de l'art. » L'artiste  parle aussi d'une révélation  à l'écoute des Gymnopédies d'Erik Satie qu'il entend pour la première fois lors d'un séjour à Hydra en 1950. « Cette musique m'a fasciné et m'a conduit à dépouiller mes sculptures que  j'ai commencé à réaliser avec des cordes de piano, ce qui n'était pas un hasard. »42 La musique qui se développe dans l'espace et dans le temps est une possibilité nouvelle pour rendre visible l'invisible, les sonorités qui parcourent l'espace et en ce sens, ne faisant que les révéler. « Il y a un mystère dans mes expériences. Je mets plusieurs objets dans la  même pièce. Chacun fonctionne indépendamment, produit son propre son et le tout devient musical.43 Ce fut le cas pour Trois Totems – Espace musical, réalisé dans le Forum du centre Georges Pompidou en 1982. « Le   sentiment   du   spectacle   est   très   sensuel.   Le   spectacle   excite   non  seulement   l'œil,   mais  aussi   tout   le   corps   [...]   L'expression   de   l'art   porte   en   elle   l'élément théâtral. »44  Les  mouvements  aléatoires  des  différents  éléments  créent un environnement  poétique, visuel  et sonore. Les sculptures musicales de Takis théâtralisent l'espace et la préoccupation sonore apparaît le plus souvent inséparable de ses projets d'environnements plastiques  dont elles font partie. Jugeant les matériaux de récupération trop musicaux, Takis est rapidement amené à intervenir lui-même dans la conception et la fabrication de ceux  nécessaires à ses environnements, les choisissant ou les calibrant selon l'espace dans lequel il est prévu d'inscrire les sculptures sonores. C'est ainsi qu'il organise des « espaces musicaux » à partir de 1974 dans lesquels c'est le son qui crée l'espace. L'émotion est globale. Lorsque   plusieurs  Musicals  de   Takis   sont   réunis   dans   une   salle   d'exposition,   une   combinaison aléatoire de sons se propage et un véritable espace acoustique se constitue, permettant au visiteur de percevoir un espace toujours changeant, malgré les propriétés inaltérables de chaque objet. Takis met ainsi en place un dispositif très contrôlé mais qui laisse également place à des phénomènes sonores non prévisibles et variables à l'infini. « Chaque   installation   de   « Musical »   dépend   de   l'acoustique   de   la   salle  d'exposition que l'on met à ma disposition. Il s'agit d'une expérience pour le spectateur qui assiste à une symphonie   perpétuelle   faite  d'éclosions, de lenteurs, d'égarements, de stridences, sans cesse rappelée à une profondeur sacrée  par l'éternel retour de gongs, bain sonore ouvrant la mémoire musicale à ses souvenirs les moins  occidentaux. ». Les   environnements   de   Takis   n'interviennent   jamais   pour   eux-même   d'après   F.Migayrou,   mais comme support d'une manifestation toujours plus  dématérialisée  de cette capacité de l'humain à réfléchir une puissance, à la reproduire et ainsi, à forger les dimensions de son espace45. Le son révèle l'espace et la qualité des matériaux.



12 ET 13 CORDES VERTICALES ET  LEURS CYLINDRES,  Pol Bury (1922, Haine­Saint­Pierre, Belgique – 2005, Paris), 1973 (Ill.)
« Je n'ai pas voulu tourner la musique en dérision : je n'ai aucune raison de  le faire (ou de ne pas le faire). J'ai cherché dans ces sculptures à cordes une autre façon de voir le mouvement,   et   de   l'entendre,   ce   qui   peut   être   aussi   naturel   que   de   regarder   un   mouvement silencieux. »46 Les  sculptures  à cordes représentent  une phase intermédiaire dans  l'œuvre de Bury des  années 1970, et une réminiscence des travaux en bois. Durant les années 1973 et 1974, l'intérêt de Bury se porte exclusivement sur le développement de cette sculpture. Jusqu'alors,   les   sculptures   en   mouvement   de   Bury   émettaient   des   sons   :   des   murmures,   des bruissements, dus à des tensions de courroie, à des efforts de poulies, de moteurs, à des frictions d'éléments. Ces bruits étaient alors plutôt dus au mouvement et accidentels. Ils appartenaient à la nature   de   l'objet,   à   son   mécanisme.   Mais,   en   réalisant   des   sculptures   à   cordes,   les   sons   sont recherchés et toute l'organisation de la sculpture est conçue pour les produire. Grande pièce de bois rectangulaire, verticale et plate sur laquelle sont fixées des chevilles cylindriques en bois reliées à un moteur électrique. Le moteur  entraîne  les chevilles qui viennent gratter les cordes de piano verticalement disposées en face d'elles. Chaque corde ayant sa sonorité propre. Les cordes ainsi mises en vibration entremêlent leurs fréquences. Pendant le mouvement des cylindres (ou de boules), des cordes de piano sont pincées ou frottées ce qui entraîne des sons. Si la musique créée par ces sculpture n'est pas vraiment mélodieuse, c'est peut être parce que, pour Bury, l'utilisation du son dans la sculpture est secondaire à son aspect visuel. « Ces sons étaient produits pour être regardés et non pas seulement entendus  ; l'audition, en quelque sorte secondaire, n'était que la conséquence de ce qui était vu. »47 D'après Eugène Ionesco, une rivalité sournoise s'installe entre l'oreille et l'œil comme si l'un voulait en imposer à l'autre « en se chatouillant »48. Pol   Bury   se  sert du son pour illustrer  le mouvement  de ses  sculptures. Il veut  montrer que  le mouvement peut également avoir un résultat acoustique. Les sons sont la conséquence du mouvement et non l'inverse. Ils ne sont pas là pour donner à ces mouvements plus de persuasion, plus d'anecdote.49 Le son est avant tout écho d'un mouvement dont il illustre tonalement l'impulsion.50 Il a poussé ce principe à l'extrême en situant dans les parcours de cylindres pointus, des cordes de piano suffisamment tendues pour créer des sons rappelant ceux d'un instrument de musique. D'après Pierre Cabane, le but de Pol Bury est de susciter une perception du mouvement différente, volontairement trompeuse par goût hérité du surréalisme pour la surprise. Bury n'a pas ménagé les provocations, l'aléatoire, l'incertain, l'insolite, l'imperceptible, l'inquiétant.155 Cette irrégularité calculée contredit le propos de Duchamp selon lequel c'est le spectateur qui fait l'œuvre car les sculptures à cordes de Bury laissent le spectateur pantois, dans l'attente.  Le spectateur n'a d'ailleurs pas le rôle d'acteur comme il l'a dans d'autres sculptures sonores. Le spectateur ne peut que regarder, écouter et attendre que la sculpture s'active et joue de ses cordes. La vibration des cordes est un des éléments visuels de la sculpture, mais le bruit l'est aussi. Les sculptures meuvent extrêmement lentement et l'enchaînement des mouvements est soumis à des interruptions, des changements de rythmes. Bury joue avec l'attente du spectateur. « Ce qui dans ce remue ménage obscur, inquiéterait le plus, ce ne serait pas  les sonorités elles-même (le plus souvent agréables à l'oreille), mais plutôt le caractère irrégulier et  incontrôlable de leur succession. » [...] Quel est alors le sentiment qui s'empare du visiteur? Incapable de savoir s'il est là pour voir ou pour entendre, il est contraint de réviser ses conceptions  habituelles, comme si le son était le produit nécessaire des formes et comme si ces mouvements  ralentis,   retenus, sans  cadence perceptible,  sans  rythme soupçonnables,  éveillaient  l'idée d'une  « intention d'égarement » qui nous rend pareils à des somnambules, les yeux ouverts, les mains en  avant. [...] [...]   Quel     spectacle   plus   étonnant   que   celui   où   la   vue,   troublée,   glisse  insensiblement vers la perception auditive ! Mais aussi quel profond divertissement tempéré, les  ravages possibles de l'angoisse, en face de ces êtres étranges, à la fois dominateurs, interrogateurs,  envoûtants   et   sournois,   qui   semblent   indifférents   à   nos   vicissitudes   et   qui,   pourtant,   nous concernent ! Tout   comme   Tinguely,   Bury   utilise   le   son   pour   étonner,   pour   rire.   Les   sons   sont   irréguliers, surprenants, attendus et inattendus à la fois. Les deux artistes se situent dans le droit fil de Dada. C'est avec l'humour absurde de Magritte que Bury avait fréquenté dans sa jeunesse, relayé par le bricolage poétique, insolite et « inutile » des dadaïstes qu'il réalise les sculptures à cordes161 sortes de compromis entre le métier à tisser et la cithare qui provoquaient d'étranges sons à des moments inattendus  lors   du   passage   lent   et   mesurable   des   cylindres.   L'audition   ajoute   une   inquiétude supplémentaire à la contemplation de la sculpture. « Le   malaise,   né   de   la   perception   immédiate   d'un   point   de   chute   futur,  s'accentue lorsque logiquement attendu – espéré – cet extrême – cette conclusion – jamais n'est  atteinte et,  tout au contraire,  s'évertue  à filer  entre les mailles  d'un filet  chaque instant  mieux  tendu. »51 Le son allonge le temps de contemplation de la sculpture. Pour Bury, la lenteur fait oublier le trajet alors que la vitesse le souligne. C'est pourquoi il cherche le seuil minimal de la perception du temps pour rejoindre le mouvement  universel  : l'éternité.52163 Avec le son, Pol Bury allonge considérablement le temps d'observation de la sculpture. Il joue avec la patience du spectateur. C'est une des possibilités de l'emploi du son dans la sculpture qui n'est quasiment jamais  abordée dans la littérature concernant la sculpture. L'usage du son permet un allongement du temps considérable. Les études concernant les sculptures à cordes de Bury parlent de l'irrégularité ou de la lenteur des mouvements des cylindres mais pas de l'accentuation de cette lenteur permise par le  son. L'artiste  exploite  le potentiel du sonore dans le but de surprendre le spectateur,   de   le   faire   attendre   avec   impatience   quelque   accélération.   La   sculpture   joue   de   la musique et le spectateur attend une conclusion comme la fin d'un concert par exemple. Mais le son continue encore et encore et la sculpture ne cède pas, elle a le dernier mot, le spectateur s'en va sans entendre la fin (qui ne vient jamais). À l'aspect massif et immobile du bois, s'oppose le changement constant des sons. La sculpture à cordes   se  produit  en concert,  confèrent  à l'œuvre un côté  théâtral  mais  Pol Bury joue  avec  la perception du spectateur. Robert Morris a également utilisé le son dans ce but.

Robert   Morris   (1931,   Kansas   City   (U.   S.   A.))  THE   BOX   WITH   THE   SOUND   OF   ITS   OWN MAKING, 1961, (« La Boîte avec le Son de sa Propre Fabrication »). Seattle Art Museum, don de Bagley et Virginia Wright. (Ill. 57)
Le son est utilisé dans cet assemblage comme matériau plastique mais surtout comme moyen de communication.  Constituée de six morceaux de noyer assemblés en un cube fermé d'apparence rustique. Elle est présentée sur un socle haut. Robert Morris s'est enregistré pendant la   fabrication de la boîte et a ensuite introduit la bande magnétique   dans   cette   même   boîte   qui   contient   un   magnétophone.   Ainsi,   en   s'approchant   de l'assemblage, on entend le son de sa propre création. Ce processus dure trois heures et demi. « J'ai fabriqué la boîte avec des outils à main : marteau, scie, etc. Ça m'a  pris  trois  heures. Au cours de ce travail, j'ai enregistré sur un magnétophone les bruits  de la  construction.   Avant   de   fermer   complètement   la   boîte,   j'y   disposai   un   petit   haut­parleur.   Je  ménageai un espace sur l'un des côtés de manière à ce que l'on puisse brancher un magnétophone  au haut­parleur. De cette façon on pouvait rejouer les sons enregistrés. La taille de la  boîte  est  d'environ 23 x 23 x 23 cm et l'épaisseur du noyer d'environ 2 cm. »53 Il est le premier d'une série d'objets marqués par le dadaïsme et l'œuvre de Duchamp.541961 correspond au début  de Robert Morris  en tant  que sculpteur sur la scène artistique   new­ yorkaise et The Box with the Sound of its Own Making est la première œuvre qu'il propose en tant que sculpture. La boîte est un simple cube dont la surface n'est ni peinte ni traitée, de telles sorte que nous pouvons bien distinguer sa matière première. C'est une boîte qui ne prétend faire preuve d'aucune habileté manuelle  spéciale  de la part de son constructeur, ni de quelconque recherche d'excellence ou de perfection de la forme. Au contraire, Robert Morris a laissé visibles tous les éléments de construction (vis, clous, traces de scie à main sur le bois) comme les évidences visuelles des processus auxquels la matière a été soumise.55 La bande enregistrée est l'évidence sonore du même processus. C'est d'ailleurs ce même processus de création que Robert Morris a voulu mettre en évidence. Il diminue l'importance de l'objet fini en tant que point culminant de l'œuvre ; c'est l'action de l'artiste qui présente de l'intérêt et qui détermine l'importance de l'objet. Nous sommes face à une œuvre dont les intentions dépassent la beauté des formes ou l'esthétique de l'objet. La recherche de Robert Morris n'est ici pas d'ordre plastique mais « extra­plastique ». Robert Morris s'efforce d'échapper aux courants traditionnels de la sculpture. Il a toujours préféré créer un nouveau vocabulaire esthétique, plutôt que d'en utiliser un, trop ressassé.56 Il concentre son attention sur l'aspect intellectuel de l'œuvre, autrement dit sur tout ce qui concerne l'art mais qui ne se trouve pas forcément dans l'objet créé par l'artiste. Ainsi, il présente ses œuvres de   la   façon   la   plus   simple   possible.   Il   élimine   tout   élément   qui   puisse   distraire   l'attention   du spectateur. Par exemple, il rejette la couleur et simplifie les formes. La forme de Box with the Sound  of its Own Making sera d'une grande importance dans de développement postérieur de l'œuvre de Robert Morris. Le cube, en tant que forme primaire jouera un rôle déterminant dans la période dite « Minimale » de sa production. Elle annonce son intérêt pour la simplification des formes ainsi que pour les problèmes de perception.57 Pour   Robert   Morris,   les  meilleures  œuvres  sont   les   plus  neutres   quant  à  leur  surface  car   plus sensibles aux variations de la lumière et de l'espace dans lequel elles existent. C'est la puissance du constant dans ces œuvres – la forme connue, la gestalt – qui fait que cette prise de conscience s'impose avec beaucoup plus de force que dans les œuvres précédentes. «  La forme constante d'un cube, présente à l'esprit, mais dont l'observateur  ne   fait   jamais  réellement  l'expérience,   est   un   fait   auquel   sont   confrontées   les   vues   réelles   et  changeantes apportées par des perspectives différentes. »58 « Une forme simple comme un cube sera perçue forcément d'une façon plus  publique, à mesure que sa dimension croît par rapport à la taille de notre propre corps. La valence d'intimité s'accélère, à mesure que sa dimension diminue par rapport à notre propre taille. Ceci est vrai même si surface, matériau et couleur demeurent constants. En fait, ce sont ces propriétés de la  surface, du matériau et de la couleur qui sont amplifiées à mesure que la dimension est réduite. »59 Pour Robert Morris, la forme, les proportions, les dimensions et les surfaces spécifiques de l'objet continuent d'avoir une influence cruciale sur les qualités particulières de l'œuvre. Mais on ne peut plus séparer ces décisions qui relèvent de l'objet, en tant que tel, de celles qui sont extérieures à sa présence physique.60 (C'est à dire l'espace, la lumière, la mise en scène, le son). La   simplicité   de   la   forme   ne   se   traduit   pas   nécessairement   par   une   égale   simplicité   dans l'expérience. Pour éviter les relations internes dans son travail, il supprime les détails au maximum. Il cherche à établir des relations externes entre l'objet créé et l'espace environnant, et entre l'objet et le public. Ainsi, il conçoit l'objet en tant que moyen pour présenter un problème intellectuel ou esthétique. Les intentions de Robert Morris ont toujours consisté à minimiser l'importance des formes en tant que valeurs esthétiques. « Le mot « détail » est utilisé ici dans un sens particulier  et négatif. Il se réfère à tous les facteurs qui, dans un travail donné, ont tendance à le placer sur un mode intime en  laissant des éléments spécifiques se distinguer du tout, établissant ainsi des relations à l'intérieur même de l'œuvre. Précédemment le rôle de la couleur a été critiqué parce que c'est un  médium étranger au caractère physique de la sculpture, mais on peut aussi lui reprocher de fonctionner  comme un détail. C'est ainsi qu'une couleur intense – élément spécifique – se détache de l'ensemble  de   l'œuvre   pour   devenir   une   relation   interne   supplémentaire.61  On   peut     en   dire   autant   de  169  Robert  Morris, l'importance   accordée   à   la   richesse   ou   à   la   spécificité   des   matériaux   ou   à   des   finitions   trop  recherchées. Un certain nombre de ces relations qui favorisent le mode intime, on disparu de la  nouvelle sculpture. »62 Robert Morris insiste également sur l'importance du caractère public de l'œuvre. Ce n'est pas l'objet qui fait l'œuvre mais la relation  de l'objet avec le public et avec l'espace environnant. Et le son participe à leur liaison. Le son  mêle  l'objet à l'espace et l'espace au spectateur et donc l'objet au spectateur. Tout comme la lumière le fait. « L'objet   n'est   plus   qu'un   des   termes   dans   la   nouvelle   esthétique.   D'une  certaine manière elle est plus  réflexive, parce que l'on a d'avantage conscience du fait que l'on  existe dans le même espace que l'œuvre, qu'on ne l'avait en face d'œuvres précédentes avec leurs multiples relations internes. On se rend mieux compte qu'auparavant que l'on est soi même en train  d'établir des relations , pendant qu'on appréhende l'objet à partir de positions différentes et sous  des   conditions   variables   de   lumière   et   d'espace.   Toute   surface   interne   qu'elle   provienne   d'une  division structurelle, d'une surface riche, ou d'autre chose, réduit le caractère public, externe, de l'objet   et   tend   à   éliminer   l'observateur,   dans   la   mesure   où   ces   détails   l'introduisent   dans   une  relation intime avec l'œuvre et lui font quitter l'espace dans lequel existe l'objet. »63 Ce sont donc les relations externes à l'objet qui sont importantes ainsi que la relation de l'objet au spectateur et à l'espace qui les environne. « Car l'espace de la pièce elle-même est un facteur structurant, compte tenue  de sa forme cubique et du genre de compression qu'il peut exercer, selon les dimensions et les  proportions de la pièce, sur les termes objet-sujet. »64 La perception se définit comme une fonction par laquelle l'esprit se représente les objets ; un acte par lequel s'exerce cette fonction. La perception peut être considérée comme une fonction du comportement humain. Elle est notre réaction face à une situation, un phénomène, ou un objet précis. La perception n'est pas concernée par les jugements car elle se manifeste à travers nos sens. Nous percevons avant de penser. Chaque perception est nouvelle et unique. Robert Morris pose différents problèmes concernant la perception dans son œuvre (la position, la définition, la mesure, la masse, l'isolement, le poids, le volume, le processus, etc.). En fait, Robert Morris essaie de nous faire prendre conscience que la perception est active et non passive. Que la perception est immédiate et non réfléchie.65 Ce qui revient souvent dans la sculpture sonore et ce dont il est question dans cet assemblage  de Robert Morris, est la question du spectateur – acteur. Le spectateur n'est pas passif puisqu'il perçoit l'œuvre. Robert Morris stimule la participation active du spectateur et cette même participation est une partie essentielle de l'œuvre. Plusieurs sculptures sonores ont cette même caractéristique de faire agir le spectateur en lui faisant écouter du son. L'artiste reconnaît alors que l'écoute, tout comme le regard porté sur l'œuvre sont des actions car la perception est une action. En faisant produire au spectateur du son par le biais de la manipulation de la sculpture ( par exemple dans les sculptures des frères Baschet ou dans les Tactiles  sonores  de Yaacov Agam et encore pour  Oracle  de Rauschenberg). Le  spectateur  agit directement sur la sculpture. La  relation  spectateur  – sculpture  peut  être active  dans  les  deux sens. La  sculpture  agit   sur   le spectateur (émet des ondes visuelles et sonores) et le spectateur agit sur la sculpture (perception de la sculpture, actions sur cette même sculpture). L'œuvre de Robert Morris donne la prééminence à l'action. Elle est soustraite à la précellence du regard sans toutefois favoriser l'immanence inhérente à l'énoncé conceptuel.66 Il me semble très important d'aborder la notion d'action du spectateur dans la sculpture sonore car la plupart des artistes  qui ont utilisé le son dans leurs sculptures, l'on fait dans un but clairement revendiqué   de   communication   entre   sculpture   et   spectateur   et   de   participation   du   spectateur   à l'œuvre. Cela s'applique particulièrement à Box with the sound of its own making de Robert Morris pour laquelle nous l'avons vu, les notions de participation du spectateur et d'inclusion de cette même participation à l'œuvre elle-même sont très importantes. Je   reviens   régulièrement   sur   cette   notion   de   spectateur   –   acteur   car   chaque   sculpteur   ne   la revendique ni ne l'applique de la même manière. (Ce qui est particulièrement vrai pour Pol Bury qui après avoir laissé le spectateur intervenir directement sur la sculpture en le laissant la manipuler, a changé d'avis et n'a laissé le spectateur que la percevoir). Robert Morris utilise le son comme matériau plastique c'est à dire comme support de l'objet. Ce n'est pas le matériau bois mais bien le matériau acoustique qui fait perdre son anonymat à la boîte et en fait une œuvre d'art.67 Il y a dans cet assemblage un aspect distrayant, amusant, car il y a là une simple boîte de bois d'où s'échappent toutes sortes de bruits. Pour Rosalind Krauss, Box With the Sound of its Own Making est une des premières interventions de Robert Morris dans le domaine de la problématique corps / esprit. Le cube d'à peu près les dimensions d'un crâne humain renferme sa mémoire. D'après elle, l'objet, tout en étant une sorte de cogito de la menuiserie, parodie l'idée du circuit fermé de l'auto référence. Car si nous pouvons dire que la boîte renferme le vécu de sa propre création, il est tout aussi évident  que cette  création  a vu le jour ailleurs  : dans  l'esprit  et l'activité  de celui  qui l'a fabriquée, et que c'est cette activité elle même qui répond à l'esprit et à l'activité d'autre fabricants.68 Pour elle, la boîte semble faire face à celui qui la regarde. L'objet tourne en dérision la subjectivité des notions associées à la subjectivité telle que l'autonomie ou l'indépendance de la conscience.69 Robert   Morris   insiste   sur   l'impossibilité   de   dissocier   l'esprit   de   la   matière,   l'âme   du   corps,   la mémoire de l'action, la connaissance de l'expérimentation. L'utilisation de l'enregistrement sonore participe à la liaison de ces concepts. Le son est utilisé pour communiquer. Si on écoute un certain temps, c'est la naissance de la boîte qui est transmise. Robert Morris loge au cœur même de l'objet l'enregistrement de son histoire sonore. L'objet est en avance sur lui-même. « Au delà de son apparence solide, fermée, il se disloque dans  son être car le son est d'un autre temps ».180 Le son qui disloque cette  « admirable boîte à musique »70 tendrait à la faire exploser pour rejeter la concentration   sur   un   objet   au   profit   d'une   considération   des   relations   entre   un   certain   nombre d'éléments.71 Morris étudie l'œuvre de Marcel Duchamp, lit  Dada painters and poets de Robert Motherwell et s'intéresse au travail de Jasper Johns, ces trois sources vont alimenter la création de ses objets. Il réalisera autre boîte sonore : Heartbeat d'où sort un battement de cœur sourd. Il participera à plusieurs évènements organisés par la Monte Young. Avec cet assemblage, Robert Morris s'approche du concept d'activité ou de performance. Bien que l'objet existe comme preuve du processus de création, l'artiste propose de faire un changement dans notre échelle de valeurs. À défaut de la valeur de l'objet, c'est la valeur du processus de création qui est ici mise en avant. Cet   assemblage   nous   confronte   également   à   une   nouvelle   dimension   temporelle. Traditionnellement, la sculpture (comme représentation ou évocation d'un objet ou d'un espace à travers une matière à laquelle on donne une forme déterminée dans un but artistique) n'imposait pas au   spectateur   un   temps   spécifique   consacré   à   sa   perception.   La   perception   des   formes  exige évidemment une lecture, et celle-ci demande un certain temps mais la durée accordée à cette lecture était laissée au libre choix du spectateur. Mais Box with the Sound of its Own Making nous impose un temps d'écoute (si on n'écoute pas la totalité de l'enregistrement, l'œuvre est tronquée). C'est la caractéristique de   l'enregistrement   que   d'avoir   une   fin.   En   effet,  parmi  les   sculptures   sonores étudiées, celle de Robert Morris est la seule dotée d'un enregistrement, le temps d'écoute est donc fini alors que la particularité des autres œuvres est que l'on entend jamais la même séquence de sons, ceux-ci ne sont pas programmés et donc, le temps d'écoute de l'œuvre n'est jamais terminé). L'enregistrement ajoute une seconde approche à l'œuvre car celui-ci restitue au présent une action qui a été réalisée au passé. Robert Morris  perpétue  alors une action passée en la transférant au présent sans lui ôter sa qualité d'action (ce serait différent avec une photographie par exemple qui figerait l'action). C'est une possibilité importante du son que de rapporter l'action qui s'est déroulée dans le temps au présent. Morris est donc, le premier à intégrer grâce au son le processus de création à l'objet.72 « L'expérience de l'œuvre se fait nécessairement dans le temps. »73 Même si le son est immatériel, il occupe un espace spécifique hors de l'objet. La boîte morrissienne tendrait alors vers l'installation sonore. « Si l'espace de la pièce acquiert cette importance, cela ne signifie pas pour  autant que prévaut une situation « environnementale ». La totalité de l'espace se trouve modifiée  dans le sens voulu, par la présence de l'objet. Cet espace n'est pas contrôlé, au sens ou on pourrait le dire s'il était ordonné par un ensemble d'objet ou par une mise en forme de l'espace entourant  l'observateur. »74 grâce au son, le sculpteur est metteur en scène, il introduit l'être humain parmi les matériaux de l'œuvre. La sculpture fait du théâtre, donne des concerts, rompt avec le silence habituel des musées et se rapproche de la vie. Les bruits et mouvements indiquent le temps de l'évolution des sculptures, ils leur confère leur quatrième dimension. Le son joue aussi avec la perception du temps qui passe Il transforme l'énergie cinétique en énergie sonore, destitue le monde optique au profit d'un monde auditif et réconcilie l'art et la vie. L'œuvre peut se transformer selon chacun presque à l'infini quand le spectateur contrôle l'œuvre : il devient le collaborateur de l'artiste. La sculpture prend un aspect ludique ou grave : le son est porteur d'une charge émotionnelle. le son n'est pas que le simple témoin du mouvement (Pol Bury), il peut avoir des fins poétiques (Takis), évocatrices (Len Lye), des visées spectaculaires (Tinguely), être l'expression du continuum vibratoire de l'univers (Takis) ou encore être le représentant de la vie quotidienne (Rauschenberg), reproduire une action passée (Robert Morris), faire durer l'œuvre dans le temps. Le  son annule le caractère physique de l'œuvre qui l'émet, la  dématérialise.  Il peut être utilisé sur le mode du détournement ironique, de façon incongrue, pour dynamiser une fonction, accentuer les perceptions visuelles. Les artistes, grâce au son, développent une perception multisensorielle de la sculpture, la rapproche du spectateur (qui participe souvent à l'œuvre mais pas toujours). On assiste au déplacement de l'intérêt vers le spectateur, tant sur ses capacités  perceptives  que sur ses facultés combinatoires. L'objet d'art n'est plus considéré par l'artiste comme une réalité autonome, mais aussi comme un simple   stimulus,   une   sollicitation   à   un   mode   particulier   d'activité   et   de   perception   non   plus exclusivement visuelle mais également auditive. Le son produit des sensations mais il peut aussi les accentuer. Il   n'y   a   plus   de  quête  des   interactions   entre   disciplines   mais   un   éclatement   des   frontières traditionnelles entre elles (art / bruit, art / vie, art / science) et leur contamination réciproque. L'utilisation   ne   se   réduit   pas   à   une   sonorisation   facile   et   dépasse   aussi   le   principe   de correspondances  ou d'imitation. Le son rappelle la vie, la participation du spectateur également. Par la dérision, l'anarchie maîtrisée ou au contraire de façon minutieuse et savante, dans des œuvres qui font appel à des éléments scientifiques   ou   technologiques   plus   ou   moins   sophistiqués,   les   œuvres   vêtent   par   le   son   un caractère   ludique,   insolite,   imprévisible,   une   poésie   ou   alors   une   gravité   sourde,  exigeant  la participation (amusée) du spectateur. En   fin   de   compte,   peut-on   parler   de   l'avènement   d'un   nouvel   art   ou   plutôt   de   tentatives   de composition   musicale   par   des   plasticiens,   ou   encore   de   la   création   d'œuvres   sculpturales   qui intègrent une composante sonore ? La dernière hypothèse paraît plus probable. On peut parler de sculptures   qui intègrent une composante  sonore plus  que d'un mouvement  à part entière ou  de tentatives de compositions musicales par des plasticiens. Il s'agit de sculpteurs dont la démarche cohérente s'est enrichie de l'élément sonore, des artistes qui ont été des pionniers dans l'art de la participation du public. l'art contemporain est phénoménologique. Ce qui est créé est avant tout une sculpture, les artistes ne se revendiquent pas compositeurs. Ces objets permettent aux artistes d'intervenir à propos de l'espace, du temps, de la perception et font partie   d'un   développement   général   des   années   1960   et   1970   pendant   lesquelles   le   concept   de sculpture s'est élargi. Des artistes de plus en plus nombreux travaillent avec ce matériau plastique immatériel : Rebecca Horn,   Michel   Aubry,   Sylvia   Bossu,   Eric   Le   maire,   Pascal   Broccolichi,   Géréon   Lepper,   Denis Pondurel, Paul Panhuysen, etc. Avec l'apparition de nouvelles technologies numériques, les technique s'élargissent. Tout comme les intentions. La seconde moitié du XXème siècle est la période de prise de possession de l'espace par la sculpture. Grâce   au   son   (comme   les   autres   matériaux   immatériels   tels   la   lumière   ou   le   mouvement),   la sculpture s'empare de l'environnement, s'y inscrit. Avec les nouvelles technologies, le phénomène s'accentue : la sculpture noue des liens particuliers avec celui-ci. Il   faut   souligner   l'extrême   diversité   des   écritures   et   des   profils   qui   constituent   l'épicentre   et  la richesse   de   ce   large   rassemblement.   Autant   d'individualités   qui   composent   cette   mosaïque   de visions   et   de   courants   souvent   mitoyens.   Même   si   des   influences   communes   et   l'utilisation   du matériau son dans leur sculpture rapprochent les sculpteurs, ils possèdent tous leur individualité propre dont le son associé à l'aspect visuel de la sculpture, est l'expression.

samedi 1 octobre 2011

Les Machines à peindre de Jean Tinguely


« C'est la métaphysique du marché aux puces, l'impitoyable revanche de l'homme, du vrai, sur le rebut mécanique. Seule une aussi totale et profonde gratuité pouvait enfin avoir le pas sur la machine asservissante. »1

Alors que l'art des années cinquante se caractérise en grande partie par le défaitisme et la passivité, l'exposition Le Mouvement à la galerie Denise René, en 1955, révèle l'existence d'un autre type d'art moderne, dynamique, constructif, joyeux, volontairement déroutant, ironique, critique, agressif et satirique. L'art étant considéré à l'époque comme quelque chose d'extrêmement sérieux l'exposition est succédée par un débat qui se prolongera au cours du printemps et de l'été. Une courte déclaration insérée dans le catalogue résume d'ailleurs clairement l'ambiance de la galerie Denise René : « Les idées exprimées n'engagent que leurs auteurs. » Les œuvres les plus remarquables – les moins remarquées d'après Pontus Hulten – seront les deux machines à peindre de Tinguely, annonciatrices de la série des Méta-matics de 1959. Tout en dessinant ces machines émettent une « musique concrète », type de musique qui va susciter des discussions aussi virulentes que celles ayant opposé les partisans du figuratif et du non-figuratif.2

La rencontre de Tinguely et de Hulten dans le paris des années 50 avait provoqué des étincelles de discussions qui n'en finissaient pas sur l'art dans la vie et sur la vie dans l'art.3
Par ailleurs, en fin des années cinquante, il souffle à Paris et à New York, un vent de contestation qui engendre, avec la logique mécaniste d'un miroir renversé, le reflet de toute pratique en son contraire. De plus, en 1958, deux événements firent beaucoup parler. Au palais des beaux-arts de Bruxelles eut lieu le festival Eric Satie avec des « partitions » comme entracte ou « ameublement » qui se rient de l'attitude respectueuse et figée du concert. La même année Rauschenberg et Cage se livrent sur scène, en guise d'interprétation musicale, au nettoyage de leurs instruments et à quelques roulades au sol dans le plus pur style des rockers.
Une telle mise en dérision des modèles établis, un tel parti pris de création basée aussi systématiquement sur la stricte observance du principe d'inversion ajoutés à l'accueil favorable dont bénéficiait leurs auteurs auprès de l'intelligentsia qui les consacrait à l'avant garde de la création avec la complicité des médias qui tout en soulignant le caractère « scandaleux » des manifestation en assuraient le succès, ne pouvaient que provoquer chez Tinguely des analogies de fond et de forme avec les productions spirituelles et plastiques, cinétiques et sonores de la Fasnacht Bâloise, un carnaval que l'artiste pratiquait assidument depuis l'enfance.

C'est à partir de 1955 que Tinguely développe ses machines à peindre qu'il appellera désormais Méta-matics. Il les expose à partir du 1er juillet 1959 à la galerie Iris Clert. Afin d'abattre les frontières, il entreprend alors une véritable campagne publicitaire, distribuait des prospectus en français et en anglais à tous les passants. Des hommes-sandwiches (deux clochards embauchés par Tingely pour l'occasion) circulent dans les rues, porteurs de pancartes où se balancent les lettres composant les nom de Tinguely. Des autocollants, invitant les gens à visiter l'exposition, apparaissent sur des tuyauteries de gouttières, sur les façades et les palissades. Les invitations annoncent un concours : un juy composé de personnalités les plus prestigieuses de la vie artistique parisienne (Alvard, Arp, Courtois, de La Celle, Gindertael, Haugen, Jouffroy, Klein, Lalanne, Queneau, Ragon, Restany, Rivière et Seuphor) récompensera le meilleur dessin effectué par les Méta-matics.
Ces dessins Méta-matics varient selon la manipulation de la machine. Il n'y a pas deux dessins identiques. La pression du traceur sur le papier est importante tout comme la fluidité de l'agent colorant ou la qualité du papier. L'opérateur peut se servir indifféremment d'un crayon, d'un stylo bille, d'un feutre, d'un tampon, d'une encre sympathique, etc. L'élément décisif tient à la durée de fonctionnement de la machine et à la durée d'utilisation de chaque couleur. Il est absolument impossible de produire un dessin « raté ». La machine à peindre inclut l'idée d'une production libre, « sans fécondation » - sorte de machine célibataire nouvelle -, capable de fonctionner seule ou, pour le moins, avec une participation limitée de l'artiste.4
La « super-manifestation-spectacle-exposition » obtient un immense succès. Quatre mille dessins méta-matics sont effectués. La Méta-matic n°12 produit à elle seule 3800 kilomètres de peinture. Cinq à six mille personnes visitent l'exposition, parmi lesquel Jean Arp, Marcel Duchamp, Rufino Tamayo, Isamu Noguchi, Tristan tzara, Man Ray, Hans Hartung et Roberto Matta. Tzara déclare que l'épilogue de la peinture est enfin arrivé : l'aboutissement triomphal de quarante ans de dadaïsme.

Les Méta-matics et les grands rouleaux de papier sur lesquels Manzoni peut tracer ses Lignes aboutiront, pratiquent au même moment et malgré la différence des expériences respectives, à des résultats similaires en ce qui concerne l'intégration du temporel dans le spatial.
Avec ses kilomètres de papier sortis de ses machines à peindre euphoriques, démentes, graves et profondes, Tinguely ridiculise les artistes suivistes de l'art abstrait expressionniste. Ces propositions sont aussitôt perçues comme un véritable défi à l'art et au geste sacré de la création. En vérité si l'ironie n'est évidemment pas absente de la démarche de l'artiste, si, à l'occasion, ses inventions laissent percevoir un certain humour contestataire, si elles ne sont pas dénuées de sens critique, les Méta-matics semblent obéir, par ailleurs, à une conception de l'art qui a toujours fait sa part aux apports de la technologie et de l'industrie.
« Je ramène la machine à un état plutôt poétique et je fais des commentaires ironiques c'est certain. Je veux faire des farces et attrapes, je veux faire des blagues, je veux être sérieux, je veux provoquer. J'ai fait des machines à dessiner qui étaient uniquement là pour ennuyer les peintres abstraits expressionnistes c'est-à-dire les tachistes qui eux faisaient que ça, faisaient que ça, faisaient que ça. »5
La presse se déchaine : c'est l'approbation totale ou la condamnation absolue. On ressort une vieille histoire datant de l'époque impressionniste : celle de l'âne du père Frédé, qui avait peint avec sa queue un Coucher de soleil sur l'Adriatique. La revu Sens Plastique publie une enquête intitulée « Procès de l'automatisme » et des personnalités du monde entier expriment haut et fort leur opinion. Au-delà des discussions et du scandale la machine à peindre devient une invention discutée et difficile à appréhender. Les Méta-matics, au même titre que le ready-made, prennent leurs distances par rapport aux autres phénomènes artistiques.
Si les dessins produits par les Méta-matics évoquent de façon ironique le « tachisme » ce n'est pas là leur principale caractéristique. D'après Pontus Hulten il s'agit plutôt d'une nouvelle approche de la réalité, d'un objet de méditation métaphysique6.
Et si à la galerie Denise René l'un des artistes vedette, Pamprolini, futuriste et émule de Léger, proclame avec talent : « Les machines scandent le chant du génie », non loin de là, celles de Tinguely semblent remonter des « puissances du désordre » (œuvre de Matta datant de 1965). L'imitation, qu'induit leur production gesticulatoire et répétitive avec les peintures automatiques des tachistes et des gestuels, est d'autant plus subversive qu'elle travaille le regard porté sur ces œuvres, les amalgamant à quelque pitrerie mécanisée. « Là où il y a répétition, disait Bergson, nous soupçonnons du mécanisme fonctionnant derrière le vivant »7. Par un mouvement incident de la mémoire, le public se trouve alors moins conduit à rire du résultat des Meta Matics qu'à se gausser d'autres productions, d'autres artistes.
Règlement de compte encore lorsque l'artiste transforme musées et galeries d'art en arrière cour de ferrailleur : « Plus le musée était blanc, plus les machines que j'amenais étaient dégueulasses »8

La méta machine tinguelienne dépasse et enveloppe le concept de machine. Une certaine épaisseur d'humanité crée leur richesse et leur séduction naît de la virtuosité intellectuelle du jeu d'idée exprimant en un mot et en un geste ce qui nécessiterait de longs discours.
Se joue un télescopage de mots et d'idées bricolant « les gravats d'un discours ancien habile à parler des choses au moyen des choses »9.
Les Méta-matics pénètrent la véritable essence de notre civilisation : elles harmonisent les rapports entre l'être humain et la machine. Ensemble, homme et machine peuvent créer quelque chose d'irrationnel et de non fonctionnel, de vital et de neuf. « La machine, elle est pour moi de toute façon un instrument qui me permet d'être poétique. Si vous respectez la machine, si vous entrez dans le jeu de la machine, peut-être qu'on a une chance de faire une machine joyeuse, je veux dire libre ; ce serait une possibilité merveilleuse. »10
Quelques temps après, Tinguely commence à construire, pour la première Biennale de Paris qui se tient au musée d'Art moderne, une grande Méta-matic actionnée par un petit moteur à essence. La Méta-matic n°17 se déplace et dessine avec rapidité sur un rouleau de papier. Des ciseaux mécaniques coupent les dessins au fur et à mesure que le papier se déroule, tandis que la machine continue son travail. Les gaz d'échappement produits par le moteur sont recueillis dans un grand ballon, qui se gonfle lentement, avant de se vider à l'air libre. Un parfum de muguet, vaporisé par un dispositif spécial, neutralise les odeurs désagréables. L'Art total, rêve de 1954, est devenu réalité : sculpture, peinture, crépitements et tintements, odeurs, mouvement, spectacle et ballet.
C'est un triomphe absolu. Tinguely se voit invité à faire une démonstration de sa machine dans les salles de la biennale, ce qui provoque la colère des autres artistes présents. On l'autorise alors à exposer son œuvre dans la grande cour devant le musée. D'après Hulten, nombre de visiteurs n'iront pas au-delà de la cour. L'exposition inaugurée le 2 octobre en présence d'André Malraux, alors ministre de la culture, comprend un monochrome d'Yves Klein, les Palissades de Raymond Hains, des œuvres de Robert Rauschenberg et de Jasper Johns. Dehors, dans la cour, la Méta-matic n°17 crache ses dessins dans toutes les directions . En 1965, le Moderna Museet de Stockholm en fera l'acquisition avec les fonds rapportés par la Méta-Moritz (Méta-matic n°8), en sa possession depuis 1961. En effet, la Méta-Moritz, la plus petite machine de la série, placée à l'entrée du musée, a produit tellement de dessins au prix d'une couronne chacun, qu'elle a pu financer l'achat de la Méta-matic n°17.
Grâce au succès remporté à la Biennale de Paris, Tinguely entreprend la construction de la Super-Méta-ultra-matic – qui aurait dû s'appeler Nicator – destinée à circuler dans les rues et à dessiner directement sur l'asphalte. Elle ne sera jamais achevée.
La période des Méta-matics s'achèvera en beauté par la soirée Cyclo-matic de l'Institute of Contemporary Arts (ICA) de Londres, fondé en 1948 pour faire connaître l'art moderne en Grande-Bretagne. Tinguely qui se trouvait à Londres pour exposer à la Kaplan Gallery, se présente le 12 novembre 1959 devant le public de l'ICA avec pour thème : Art, machines et mouvement, une conférence de Tinguely. Premier « happening » de Tinguely (les composantes typiques du happening, et notamment l'amalgame d'événements programmés et d'éléments improvisés, sont présentes).
Lors de la première partie de la soirée une femme en bas, robe courte étroite et transparente présente une machine à dessiner manuelle. Elle est accompagnée par la chanson de Paul Anka : I'm just a lonely boy (elle mâchonnait en cadence). Ensuite deux coureurs cyclistes viennent s'affronter sur la Méta-matic. Le but de la soirée est une compétition mettant aux prises deux authentiques coureurs cyclistes dans la tenue de leurs club respectifs, déroulant à coup de pédale un kilomètre et demi de papier tout en le transformant en peinture. « Le starter, en manteau blanc ganté et coiffé d'un bonnet à pompon, donna le départ et le premier coureur se mit à pédaler comme un fou. À cet instant le public comprit qu'il n'était pas seulement venu pour assister à une manifestation artistique, mais aussi pour y participer, car au fur et à mesure que l'interminable papier se transformait en peinture il était projeté sur l'assistance, et lorsque le coureur accélérait, le papier jaillissait de la machine avec des ondulations merveilleuses et se déversait sur le public. Rien ne pouvait arrêter le processus. Le coureur était déterminé à peindre son kilomètre et demi aussi vite que possible et il y parvint. C'était l'enfer, les gens ne savaient plus ce qui leur arrivait, une merveilleuse catastrophe préméditée. Tandis que le public essayait de se dépêtrer d'un désordre supportable uniquement parce qu'il avait été organisé au nom de l'art, les deux machinistes rechargeaient la machine. »11

Par ses machines à dessiner, Tinguely cherche à illustrer l'idée qu'une œuvre d'art n'est pas une création définitive ni close, mais qu'elle créé sa vie propre dans toute l'étendue de ses possibilités.
L'œuvre d'art peut, en effet, être elle-même créatrice. Puisque ce genre d'œuvre a pour but de représenter la plus grande liberté possible, la faculté créatrice qu'elle recèle doit en constituer un élément essentiel. Dans la série des « méta matics » de 1959, Tinguely exploita cette idée avec encore plus d'insistance.12 L'idée « méta-matic » renferme en elle-même beaucoup plus qu'un simple commentaire ironique du tachisme. Comme dans le cas de l'œuvre d'art autodestructrice il s'agit d'une œuvre devenant objet de méditation métaphysique et dont le contexte esthétique s'élargit. Pas plus que le ready-made, l'idée Méta-matic ne peut être utilisée telle quelle par un autre artiste mais les chances qu'elle exerce sur lui quelque influence sont grandes. Nous arrivons à une nouvelle conception de l'art, nous jugeons la valeur des œuvres d'art à ce qu'elles produisent et non plus à leur aspect en tant que sculptures. Tinguely fait de l'art parce que c'est une forme de la vie, un mode de vie pour l'homme non corrompu et productif. « Les œuvres ne présentent qu'un sillage » (Yves Klein). Les œuvres d'art dotées de créativité possèdent la beauté des idées les plus simples et par conséquent les plus éminentes. Les machines à produire de l'art touchent au cœur même de notre civilisation. L'art devient un idéal de liberté. Il représente dans sa toute puissance l'idée de la créativité humaine.13
« Cet art est une anarchie en pleine force. C'est une parcelle de vie pure qui réussit à se fendre un chemin au-dessus du bon, du mauvais, du vrai, du faux, du beau, du laid. C'est un peu d'existence véritable, d'éternel changement n'ayant besoin de vouloir dire quoi que ce soit et qui ne cherche rien. »14
Tinguely tire parti des glissements et des retournements possibles de deux situations, de deux lectures. Car pour être comprise, la caricature s'appuie sur une trame de faits susceptibles d'être reconnus, de ces faits qui, selon les publics espérés, défrayent la grande presse ou un cercle plus restreint. Et ces faits, qui ne cessent de jalonner le déroulement de l'œuvre, lui insufflant cette structure de discours en forme de chronique illustrée. « Le rire a besoin d'écho, il doit répondre à certaines exigences de la vie en commun... il doit voir une signification sociale », disait Bergson.15
La ruse c'est de jouer sur la fragilité du jugement des professionnels du milieu de l'art, d'en pervertir les rôles, de les engager, plus ou moins malgré eux en des actions qui vont à l'encontre de leur vocation. À New York en 1960, le conservateur du MoMA, non seulement privé de sa fonction de conservation mais devient le complice d'un autodafé. L'intrusion d'une Méta-matic fonctionnant contre le paiement supplémentaire d'une taxe transforme le conservateur de Stockholm en un marchand qui théâtralise les relations, habituellement tenues discrètes, entre l'art et l'argent.16
La Méta Matic, témoigne d'un double refus, tant sur le plan de la pratique gestuelle qu'au niveau d'une tendance envahissante conduisant un grand nombre de peintres à théoriser.
Jean Tinguely oppose au seul plaisir rétinien et à la seule jouissance du faire, l'aridité « d'une fabrique d'idée », une construction intellectuelle dont la mise en image doit quand même déclencher le rire. « Le plaisir de rire n'est pas un plaisir pur, je veux dire un plaisir exclusivement esthétique, absolument désintéressé... il y entre l'intention inavoué d'humilier, et par là il est vrai, de corriger tout au moins extérieurement ».17 Il reflète aussi pour Tinguely les aspirations de l'homme à l'amour et à la liberté hors de tout carcan. « C'est la joie retrouvée dans la folie-révolte : la vraie sagesse »18.

Ensemble, l'homme et la machine nous incitent à chercher plus loin. « La machine, elle est pour moi de toute façon un instrument qui me permet d'être poétique. »19

1Tapuscrit de Restany : Tinguely : concert pour 7 peintures, conservé aux Archives de la critique d'art, Rennes.
2Tinguely in Ponthus Hulten, Tinguely, catalogue de l'exposition qui s'est tenue du 8 décembre 1988 au 27 mars 1988 au Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Ed. du centre Georges Pompidou, Paris, 1988. p. 28.
3Jacques Michel, Tinguely-Hulten : un anti-musée dans une valise in Le Monde 22 novembre 1974.
4Maurice Fréchuret, La machine à peindre, ed. Jacqueline Chambon, 1994. p.119.
5Le rêve de Jean, une histoire du cyclope de Jean Tinguely. Réalisation Louise Faure et Anne Julien. Quatre à Quatre films, 2005.
6Ponthus Hulten, Tinguely, catalogue de l'exposition qui s'est tenue du 8 décembre 1988 au 27 mars 1988 au Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Ed. du centre Georges Pompidou, Paris, 1988. p.56
7Henri Bergson, Le rire, essai sur la signification du comique, PUF, 1978. p.26
8Tinguely, Les archives de l'art contemporain, Jean Tinguely, chronologie, exposition, bibliographie, Eric Michaud, Faculté de Nanterre, 1970.
9Lévi-strauss, La pensée sauvage, Plon, 1972. p.24-32, cité in Parole d'artiste, cabinet des estampes, MAM, Genève, 25/6/76.
10Tinguely, cité in Ponthus Hulten, Tinguely, catalogue de l'exposition qui s'est tenue du 8 décembre 1988 au 27 mars 1988 au Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Ed. du centre Georges Pompidou, Paris, 1988. p.56
11Lettre de Terry Hamilton, La manifestation de l'Institute of Contemporary Art (ICA) à Londres, citée in Tinguely in Ponthus Hulten, Tinguely, catalogue de l'exposition qui s'est tenue du 8 décembre 1988 au 27 mars 1988 au Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Ed. du centre Georges Pompidou, Paris, 1988. p.66
12Pontus Hulten, Catalogue de l'exposition Méta à la galerie Alexandre Iolas, 196 bd St Germain, du 10 décembre 1964 au 9 janvier 1965. p.30
13Ibid. p.80
14Ibid. p.1
15Henri Bergson, Le rire, essai sur la signification du comique, PUF, 1978. p.4 - 6
16Pontus Hulten, Tinguely, catalogue de l'exposition qui s'est tenue du 8 décembre 1988 au 27 mars 1988 au Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Ed. du centre Georges Pompidou, Paris, 1988. p.106
17H. Bergson, Le rire, essai sur la signification du comique, PUF, 1978. p.375
18Catalogue de l'exposition Méta à la galerie Alexandre Iolas, 196 bd St Germain, du 10 décembre 1964 au 9 janvier 1965.
19Tinguely in Ponthus Hulten, Tinguely, catalogue de l'exposition qui s'est tenue du 8 décembre 1988 au 27 mars 1988 au Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Ed. du centre Georges Pompidou, Paris, 1988. p.83