La dissolution comme tentative de l'oubli
Le travail de Siegfried Bréger est
réflexion sur la refléxion.
Il s'agit, dans un premier temps de
rendre apparente la superposition des strates temporelles et
spatiales. L'épaisseur de l'espace : sémantique, culturel,
sensible.
L'enchevêtrement, intime pénétration
des plans et des temporalités les uns dans les autres.
La cohérence se fait chez le
spectateur à partir de la dimension relationnelle et de la somme de
ses expériences passées et présentes. D'un ensemble d'informations
factuelles nait le sens.
Et c'est par l'interpénétration des
objets et des sens que l'artiste tente de rendre intelligible ce qui
echappe à notre conception / perception du monde.
C'est la question de la frontière, de
l'impossible saisissement.
Densité, entropie.
Le flou.
Simultanément et de manière différée,
des mouvements antinomiques occupent une même succession de plans.
Agrégat éphémère de forces ou
d'éléments..
Les éléments sont en tension. Tension
pour exister dans la compréhension du spectateur.
Tension du spectateur qui, face à la
compléxité, se heurte aux limites des possibilités de son
saisissement. Du général, de l'universel, de l'intemporel, du
concept : Le cycle de l'eau, le fleuve, le brouillard, les
effets du vent, les gestes du quotidien, la douche. Au particulier,
au singulier, à l'individuel, à l'anecdotique : le cycle de
l'eau, un fleuve, un brouillard, des effets de vent, une douche.
Incessants allers et retours du point de vue, changement de focale
spaciale et temporelle, d'echelle de compréhension. Variations des
différents temps qui passent et se superposent. Incessants
déplacements, mouvements perpétuels de natures différentes. Voir
dans le présent avec sa mémoire. Changement d'échelle, attente,
répétition, continuité, simultanéité, différé.
Un constat : nous ne voyons que
des fragments de la réalité.
Nous sommes dans le sujet, nous sommes
le sujet, nous somme autour du sujet : celui du questionnement
d'un voir primordial dont le dessein est de faire apparaître une
structure première : une structure apriorique et transcendantale.
L'apparence s'affiche comme le contraire de la réalité, qui
n'est pas dans le domaine de l'idée (en effet, on distingue aisément
l'idée, de la chose dont on a une idée). Cette distinction
introduit le questionnement métaphysique sur la réalité des
apparences, et sur sa pluralité qui s'oppose à l'identité de
l'essence. C'est cela dont il est question ici.
C'est la question du phénomène
lui-même, de l’apparaître comme tel (l'approche est sensiblement
phénoménologique). Entendant par là non pas la chose dans sa
simple extériorité, mais bien la relation de l’esprit à ce à
quoi il est en relation. Une relation qui est première, une relation
qui est intentionnelle.
Second constat : l'esprit est
relation au monde.
Siegfried Bréger cherche à dissoudre
les frontières entre imaginaire et réalité, à saisir le point
d'émergence du sujet, le fondement. Pour ce faire, il nous propose
de dépasser les limites du paradoxe, le lieu des tensions :
privé / public, universel / particulier, intérieur / extérieur,
temporel / atemporel. Les titres sont évocateurs :
« L'infigurable dans la figure
L'inexprimable dans la parole
L'incirconscriptible dans le lieu
L'inaudible dans le son
La vie dans la mort,
L'impalpable dans le tangible »
L'essence
ne désigne pas une portion séparée de la réalité observable,
mais l’unité de l’ensemble à partir de quoi les éléments
séparés de la réalité peuvent être pris en compte et peuvent
être compris. Il y aurait
donc une forme première, une unité : celle de la perception,
de l’imagination, de la volonté, etc. Et cette forme constiturait
une essence.
L'abstrait dans le concret
Le figuré dans le figurant
Le tout dans le détail
Le concept dans l'objet
L'universel dans le singulier
Le mouvement dans l'inerte
L'essence dans la substance
La substance est ce qui est constitutif d'un être, ce qui persiste dans l'être au cours d'un changement. Les accidents sont les propriétés susceptibles d'être modifiées.
Distinguons ainsi réalité sensible et réalité intelligible ou idéelle, la première ne tenant son essence que de la seconde ; mais les secondes échappent à la connaissance commune des hommes, qui manquent donc une part de réalité.
L'atmosphère
Le temps qui passe
Les gestes du
quotidien
L'attente
La vie
Archétypes qui servent de modèles
aux choses du monde sensible, au devenir et domaine de
l'essentialisme au sens où l'existence serait empirique et ne
permetrait pas de connaître les êtres. C'est le domaine de
l'accidentel et du contingent, du multiple et de l'altérité
irréductible.
Il y
a ici une tension propre à la conscience et cette tension est
relation avec le monde dans lequel elle vit.
C'est la structure fondamentale du « être au monde comme
homme », du « être au monde comme conscience ».
L'expérience pure dont parle Husserl. Ce pourquoi la parole
modifie la représentation de l'espace ou encore pourquoi la présence
est plus importante que le perçu.
Et l'artiste rappelle ainsi que le
devenir n'admet aucune réalité stable. Que l'idée d'être immuable
est contradicatoire, que l'essence
de l'homme consiste à se comprendre en tant qu'être-là, en tant
qu'existence.
Anaïs
Rolez, 2012
"Siegfried Bréger cherche à dissoudre les frontières entre imaginaire et réalité, à saisir le point d'émergence du sujet, le fondement."
RépondreSupprimer"Il y a ici une tension propre à la conscience et cette tension est relation avec le monde dans lequel elle vit."
Stéphane Lupasco a défendu toute sa vie l'idée d'une logique de l'antagonisme, comme une tension irréductiblement "ouverte" entre deux antagonistes (et) opposés. Cette tension ne se dissout jamais : il a ainsi combattu l'idée de la synthèse Hégélienne.
J'interviens ici précisément pour questionner ce point car à réfléchir sur ces sujets, j'ai compris pour ma part que ce n'est pas en dissolvant les frontières qu'une tension (entre les deux) peut émerger (en tant que relation par exemple), mais bien AU CONTRAIRE, en surlignant, en rendant plus présentes ces frontières qu'une tension contradictoire peut naître peu à peu. Cette contradiction est ainsi irréductible et cette irréductibilité la rend ainsi formalisable et "palpable". De là est née l'idée puis le concept Lupascien du tiers inclus, comme le tiers existant entre a et non-a. Il a été ensuite postulé d'une manière logique que ce tiers inclus ne peut se situer sur le même "plan" de réalité que le couple d'antagonistes (a, non-a) qui l'a généré ou qu'il engendre. Ainsi la notion d'irréductibilité disparait et ne reste plus que la relation (symétrique dans le temps) indéfectiblement "ouverte" (au sens Gödelien) et traversant (trans-*) un nombre possiblement infini de "plans" de réalité différents.
Il n'y a donc pas dissolution, sauf à croire fort justement en l'apparence des phénomènes.
Il me semble, pour terminer, que ce concept de dissolution ici peut conférer à la mise en œuvre d'un changement de "catégorie" (au sens mathématique du terme) ou bien encore, ce qui est analogue, à la mise en œuvre d'une posture méta lorsqu'il est constaté que ce changement semble résoudre la contradiction existant auparavant. La résolution semble s'accompagner d'une dissolution tout simplement si on oublie de regarder ce qu'elle a en réalité pointé : la relation , en tant que quelque chose plutôt que rien...
Bien à toi,
LL
Merci Laurent,
RépondreSupprimerMerci pour ton éclairage très enrichissant.
Effectivement la dissolution apparait en vidéo (comme en art) sous la forme d'un questionnement sensible. Nous sommes dans une expérience artistique qu'il ne s'agit nullement de transposer dans un autre langage (qui serait ici d'ordre esthétique ou philosophique) mais bien de tourner autour, d'évoquer, "ce qui se passe" dans cet apparent phénomène de saisissement - dé-saisissement sensible. La vidéo est "autrement" parlante. Je pense que si l'on perçoit qu'il y a un questionnement sur la notion de frontière, c'est qu'il est souligné en un sens dans son absence. Je suis fascinée par ce concept de la posture méta "lorsqu'il est constaté que ce changement semble résoudre la contradiction existant auparavant" d'autant plus que la vidéo permet qu'un auparavant soit une boucle temporelle. Nous constatant alors une sorte d'échec de la compréhension et un retour vers soi comme référent temporel. C'est la joie des formes "inventées" par le spectateur perdu dans un flot insaississable, sans frontière ni cohésion autres que celles qu'on leur prête. La question du sens.
J'aime "l'ouverture" de Lupasco ;-)
Bien à toi aussi,
Anaïs