vendredi 10 juin 2011

Robert Morris, Box with the sound of its own making, 1961


Robert Morris (1931, Kansas City (U. S. A.)) Vit et travaille à New York.
THE BOX WITH THE SOUND OF ITS OWN MAKING, 1961



Bois, bande magnétique, haut-parleurs.
24,8 x 24,8 x 24,8 cm.
Seattle Art Museum, don de Bagley et Virginia Wright.

The Box with the Sound of its Own Making a été réalisée en janvier 1961. Elle est constituée de six morceaux de noyer assemblés en un cube fermé d'apparence rustique. Elle est présentée sur un socle haut.
Robert Morris s'est enregistré pendant la fabrication de la boîte et a ensuite introduit la bande magnétique dans cette même boîte qui contient un magnétophone. Ainsi, en s'approchant de l'assemblage, on entend le son de sa propre création. Ce processus dure trois heures et demi.

« J'ai fabriqué la boîte avec des outils à main : marteau, scie, etc. Ça m'a pris trois heures. Au cours de ce travail, j'ai enregistré sur un magnétophone les bruits de la construction. Avant de fermer complètement la boîte, j'y disposai un petit haut-parleur. Je ménageai un espace sur l'un des côtés de manière à ce que l'on puisse brancher un magnétophone au haut-parleur. De cette façon on pouvait rejouer les sons enregistrés. La taille de la boîte est d'environ 23 x 23 x 23 cm et l'épaisseur du noyer d'environ 2 cm.»1

Il est le premier d'une série d'objets marqués par le dadaïsme et l'oeuvre de Duchamp.2
1961 correspond au début de Robert Morris en tant que sculpteur sur la scène artistique new-yorkaise et The Box with the Sound of its Own Making est la première œuvre qu'il propose en tant que sculpture.
La boîte est un simple cube dont la surface n'est ni peinte ni traitée, de telles sorte que nous pouvons bien distinguer sa matière première.
C'est une boîte qui ne prétend faire preuve d'aucune habileté manuelle spéciale de la part de son constructeur, ni de quelconque recherche d'excellence ou de perfection de la forme. Au contraire, Robert Morris a laissé visibles tous les éléments de construction (vis, clous, traces de scie à main sur le bois) comme les évidences visuelles des processus auxquels la matière a été soumise.3
La bande enregistrée est l'évidence sonore du même processus.
C'est d'ailleurs ce même processus de création que Robert Morris a voulu mettre en évidence. Il diminue l'importance de l'objet fini en tant que point culminant de l'œuvre ; c'est l'action de l'artiste qui présente de l'intérêt et qui détermine l'importance de l'objet.
Nous sommes face à une œuvre dont les intentions dépassent la beauté des formes ou l'esthétique de l'objet. La recherche de Robert Morris n'est ici pas d'ordre plastique mais « extra-plastique ».
Robert Morris s'efforce d'échapper aux courants traditionnels de la sculpture. Il a toujours préféré créer un nouveau vocabulaire esthétique, plutôt que d'en utiliser un, trop ressassé.4
Il concentre son attention sur l'aspect intellectuel de l'œuvre, autrement dit sur tout ce qui concerne l'art mais qui ne se trouve pas forcément dans l'objet créé par l'artiste. Ainsi, il présente ses œuvres de la façon la plus simple possible. Il élimine tout élément qui puisse distraire l'attention du spectateur. Par exemple, il rejette la couleur et simplifie les formes. La forme de Box with the Sound of its Own Making sera d'une grande importance dans de développement postérieur de l'œuvre de Robert Morris. Le cube, en tant que forme primaire jouera un rôle déterminant dans la période dite « Minimale » de sa production. Elle annonce son intérêt pour la simplification des formes ainsi que pour les problèmes de perception.5
Pour Robert Morris, les meilleures œuvres sont les plus neutres quant à leur surface car plus sensibles aux variations de la lumière et de l'espace dans lequel elles existent. C'est la puissance du constant dans ces œuvres – la forme connue, la gestalt – qui fait que cette prise de conscience s'impose avec beaucoup plus de force que dans les œuvres précédentes.

« La forme constante d'un cube, présente à l'esprit, mais dont l'observateur ne fait jamais réellement l'expérience, est un fait auquel sont confrontées les vues réelles et changeantes apportées par des perspectives différentes. »6
« Une forme simple comme un cube sera perçue forcément d'une façon plus
publique, à mesure que sa dimension croît par rapport à la taille de notre propre corps. La valence d'intimité s'accélère, à mesure que sa dimension diminue par rapport à notre propre taille. Ceci est vrai même si surface, matériau et couleur demeurent constants. En fait, ce sont ces propriétés de la surface, du matériau et de la couleur qui sont amplifiées à mesure que la dimension est réduite. »7

Pour Robert Morris, la forme, les proportions, les dimensions et les surfaces spécifiques de l'objet continuent d'avoir une influence cruciale sur les qualités particulières de l'œuvre. Mais on ne peut plus séparer ces décisions qui relèvent de l'objet, en tant que tel, de celles qui sont extérieures à sa présence physique.8 (C'est à dire l'espace, la lumière, la mise en scène, le son).
La simplicité de la forme ne se traduit pas nécessairement par une égale simplicité dans l'expérience. Pour éviter les relations internes dans son travail, il supprime les détails au maximum. Il cherche à établir des relations externes entre l'objet créé et l'espace environnant, et entre l'objet et le public. Ainsi, il conçoit l'objet en tant que moyen pour présenter un problème intellectuel ou esthétique. Les intentions de Robert Morris ont toujours consisté à minimiser l'importance des formes en tant que valeurs esthétiques.

« Le mot « détail » est utilisé ici dans un sens particulier et négatif. Il se réfère à tous les facteurs qui, dans un travail donné, ont tendance à le placer sur un mode intime en laissant des éléments spécifiques se distinguer du tout, établissant ainsi des relations à l'intérieur même de l'œuvre. Précédemment le rôle de la couleur a été critiqué parce que c'est un médium étranger au caractère physique de la sculpture, mais on peut aussi lui reprocher de fonctionner comme un détail. C'est ainsi qu'une couleur intense – élément spécifique – se détache de l'ensemble de l'œuvre pour devenir une relation interne supplémentaire. On peut en dire autant de l'importance accordée à la richesse ou à la spécificité des matériaux ou à des finitions trop recherchées. Un certain nombre de ces relations qui favorisent le mode intime, on disparu de la nouvelle sculpture. »9

Robert Morris insiste également sur l'importance du caractère public de l'œuvre. Ce n'est pas l'objet qui fait l'œuvre mais la relation de l'objet avec le public et avec l'espace environnant. Et le son participe à leur liaison. Le son mêle l'objet à l'espace et l'espace au spectateur et donc l'objet au spectateur. Tout comme la lumière le fait.

« L'objet n'est plus qu'un des termes dans la nouvelle esthétique. D'une certaine manière elle est plus réflexive, parce que l'on a d'avantage conscience du fait que l'on existe dans le même espace que l'œuvre, qu'on ne l'avait en face d'œuvres précédentes avec leurs multiples relations internes. On se rend mieux compte qu'auparavant que l'on est soi même en train d'établir des relations , pendant qu'on appréhende l'objet à partir de positions différentes et sous des conditions variables de lumière et d'espace. Toute surface interne qu'elle provienne d'une division structurelle, d'une surface riche, ou d'autre chose, réduit le caractère public, externe, de l'objet et tend à éliminer l'observateur, dans la mesure où ces détails l'introduisent dans une relation intime avec l'œuvre et lui font quitter l'espace dans lequel existe l'objet. »10

Ce sont donc les relations externes à l'objet qui sont importantes ainsi que la relation de l'objet au spectateur et à l'espace qui les environne.

« Car l'espace de la pièce elle-même est un facteur structurant, compte tenue
de sa forme cubique et du genre de compression qu'il peut exercer, selon les dimensions et les proportions de la pièce, sur les termes objet-sujet. »11

La perception se définit comme une fonction par laquelle l'esprit se représente les objets ; un acte par lequel s'exerce cette fonction.
La perception peut être considérée comme une fonction du comportement humain. Elle est notre réaction face à une situation, un phénomène, ou un objet précis. La perception n'est pas concernée par les jugements car elle se manifeste à travers nos sens. Nous percevons avant de penser. Chaque perception est nouvelle et unique. Robert Morris pose différents problèmes concernant la perception dans son œuvre (la position, la définition, la mesure, la masse, l'isolement, le poids, le volume, le processus, etc.). En fait, Robert Morris essaie de nous faire prendre conscience que la perception est active et non passive. Que la perception est immédiate et non réfléchie.12
Ce qui revient souvent dans la sculpture sonore et ce dont il est question dans cet assemblage de Robert Morris, est la question du spectateur – acteur.
Le spectateur n'est pas passif puisqu'il perçoit l'œuvre. Robert Morris stimule la participation active du spectateur et cette même participation est une partie essentielle de l'œuvre. Plusieurs sculptures sonores ont cette même caractéristique de faire agir le spectateur en lui faisant écouter du son. L'artiste reconnaît alors que l'écoute, tout comme le regard porté sur l'œuvre sont
des actions car la perception est une action. En faisant produire au spectateur du son par le biais de la manipulation de la sculpture ( par exemple dans les sculptures des frères Baschet ou dans les Tactiles sonores de Yaacov Agam et encore pour Oracle de Rauschenberg). Le spectateur agit directement sur la sculpture. La relation spectateur – sculpture peut être active dans les deux sens. La sculpture agit sur le spectateur (émet des ondes visuelles et sonores) et le spectateur agit sur la sculpture (perception de la sculpture, actions sur cette même sculpture).
L'œuvre de Robert Morris donne la prééminence à l'action. Elle est soustraite à la précellence du regard sans toutefois favoriser l'immanence inhérente à l'énoncé conceptuel.13
Robert Morris utilise le son comme matériau plastique c'est à dire comme support de l'objet. Ce n'est pas le matériau bois mais bien le matériau acoustique qui fait perdre son anonymat à la boîte et en fait une œuvre d'art.14
Il y a dans cet assemblage un aspect distrayant, amusant, car il y a là une simple boîte de bois d'où s'échappent toutes sortes de bruits. Pour Rosalind Krauss, Box With the Sound of its Own Making est une des premières interventions de Robert Morris dans le domaine de la problématique corps / esprit. Le cube d'à peu près les dimensions d'un crâne humain renferme sa mémoire. D'après elle, l'objet, tout en étant une sorte de cogito de la menuiserie, parodie l'idée du circuit fermé de l'auto-référence. Car si nous pouvons dire que la boîte renferme le vécu de sa propre création, il est tout aussi évident que cette création a vu le jour ailleurs : dans l'esprit et l'activité de celui qui l'a fabriquée, et que c'est cette activité elle même qui répond à l'esprit et à l'activité d'autre fabricants.15
Pour elle, la boîte semble faire face à celui qui la regarde. L'objet tourne en dérision la subjectivité ou des notions associées à la subjectivité telle que l'autonomie ou l'indépendance de la conscience.16
Robert Morris insiste sur l'impossibilité de dissocier l'esprit de la matière, l'âme du corps, la mémoire de l'action, la connaissance de l'expérimentation. L'utilisation de l'enregistrement sonore participe à la liaison de ces concepts.
Le son est utilisé pour communiquer. Si on écoute un certain temps, c'est la naissance de la boîte qui est transmise. Robert Morris loge au cœur même de l'objet l'enregistrement de son histoire sonore.
L'objet est en avance sur lui-même. « Au delà de son apparence solide, fermée, il se disloque dans son être car le son est d'un autre temps ».17
Le son qui disloque cette « admirable boîte à musique »18 tendrait à la faire exploser pour rejeter la concentration sur un objet au profit d'une considération des relations entre un certain nombre d'éléments.
Morris étudie l'oeuvre de Marcel Duchamp, lit Dada painters and poets de Robert Motherwell et s'intéresse au travail de Jasper Johns, ces trois sources vont alimenter la création de ses objets. Il réalisera autre boîte sonore : Heartbeat d'où sort un battement de cœur sourd. Il participera à plusieurs évènements organisés par la Monte Young. Avec cet assemblage, Robert Morris s'approche du concept d'activité ou de performance. Bien que l'objet existe comme preuve du processus de création, l'artiste propose de faire un changement dans
notre échelle de valeurs. À défaut de la valeur de l'objet, c'est la valeur du processus de création qui est ici mise en avant. Cet assemblage nous confronte également à une nouvelle dimension temporelle.
Traditionnellement, la sculpture (comme représentation ou évocation d'un objet ou d'un espace à travers une matière à laquelle on donne une forme déterminée dans un but artistique) n'imposait pas au spectateur un temps spécifique consacré à sa perception. La perception des formes exige évidemment une lecture, et celle-ci demande un certain temps mais la durée accordée à cette lecture était laissée au libre choix du spectateur. Mais Box with the Sound of its Own Making nous impose un temps d'écoute (si on n'écoute pas la totalité de l'enregistrement, l'œuvre est tronquée). C'est la caractéristique de l'enregistrement que d'avoir une fin. En effet, parmi les sculptures sonores étudiées, celle de Robert Morris est la seule dotée d'un enregistrement, le temps d'écoute est donc fini alors que la particularité des autres œuvres est que l'on entend jamais la même séquence de sons, ceux-ci ne sont pas programmés et donc, le temps d'écoute de l'œuvre n'est jamais terminé).
L'enregistrement ajoute une seconde approche à l'œuvre car celui-ci restitue au présent une action qui a été réalisée au passé. Robert Morris perpétue alors une action passée en la transférant au présent sans lui ôter sa qualité d'action (ce serait différent avec une photographie par exemple qui figerait l'action). C'est une possibilité importante du son que de rapporter l'action qui s'est déroulée
dans le temps au présent. Morris est donc, le premier à intégrer grâce au son le processus de création à l'objet.19

« L'expérience de l'œuvre se fait nécessairement dans le temps. »20

Même si le son est invisible, il occupe un espace spécifique hors de l'objet. La boîte morrissienne tendrait alors vers l'installation sonore.

« Si l'espace de la pièce acquiert cette importance, cela ne signifie pas pour autant que prévaut une situation « environnementale ». La totalité de l'espace se trouve modifiée dans le sens voulu, par la présence de l'objet. Cet espace n'est pas contrôlé, au sens ou on pourrait le dire s'il était ordonné par un ensemble d'objet ou par une mise en forme de l'espace entourant l'observateur. »21

1Robert Morris in PAGE, POPPER, 1980. P. 106.
2D'après Katia Baudin in GRENIER, 1995. P. 204.
3RUBIO, 1983. P. 41.
4D'après Eduardo Rubio in RUBIO, 1983. P. 35.
5RUBIO, 1983. P. 45.
6Robet Morris, Notes on sculpture, 1ère partie publié en février 1966, 2ème partie publiée en octobre 1966 in Artforum, traduit in GINTZ, 1979. P. 90.
7Robet Morris, Notes on sculpture, 1ère partie publié en février 1966, 2ème partie publiée en octobre 1966 in Artforum, traduit in GINTZ, 1979. P. 89.
8 Ibid. P. 90.
9Ibid.
10Ibid.
11Ibid. P.92.
12D'après Eduardo Rubio in RUBIO, 1983.P. 36.
13D'après Catherine Grenier in GRENIER, 1995. P. 19.
14D'après René Block, À la recherche de la musique jaune in PAGE, POPPER, 1980. P. 9.
15Rosalind Krauss, La problématique corps / esprit : Robert Morris en séries in GRENIER, 1995. P. 51.
16Ibid.
17SZENDY, 1997.
18Le terme est de Peter Szendy.
19RUBIO, 1983. P. 44.
20 Robet Morris, Notes on sculpture, 1ère partie publié en février 1966, 2ème partie publiée en octobre 1966 in Artforum, traduit in GINTZ, 1979. P. 90.
21Robet Morris, Notes on sculpture, 1ère partie publié en février 1966, 2ème partie publiée en octobre 1966 in Artforum, traduit in GINTZ, 1979. P. 90.

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