Au
cours des siècles, la seule association concevable de l'union du
hasard et de la production artistique est l'accident de matière. Une
forme imprévue stimule un regard qui y projette une forme. E. H.
Gombrich explique en 1960 que :
« Les images qui surgissent par surprise au sein de l'informe, comme dans les nuages sont le produit du hasard, et c'est nous qui sommes, par nature, portés à l'imitation et qui donnons à ces nuages une forme et un sens. »1.
« Ce que nous découvrons dans les formes du ciel « dépend de notre aptitude à voir en elles des objets ou des images que notre mémoire a enregistrées. »2.
Ce
phénomène de projection est, bien sûr, à l’œuvre face à une
machine de Jean Tinguely. L'imagination du spectateur prête des
images à des formes, prête des attitudes gestuelles à des
déplacements ou à des mouvements, prête une intonation à une
sonorité.
La
contradiction, ici, est celle des valeurs traditionnelles, celle-ci
apparaît dans la provocation inhérente au fait que Tinguely
travaille ouvertement en collaboration avec le hasard, alors que cela
est, encore dans le contexte dans lequel il œuvre, taxé
d'insignifiance. Le présupposé étant « qu'un artiste n'a pas
le droit de laisser le hasard prendre sa place, parce qu'il n'est pas
d'art possible sans une intention humaine, sans un père qui s'en
porte garant, même s'il (surtout s'il) se dit inspiré par des
forces qui le dépassent. ».3
Tinguely
n'a pas inventé la collaboration entre l'artiste et le hasard. Au
début du XXe siècle, Marcel Duchamp (Trois
stoppages-étalon, de 1913) et Hans
Arp (Selon les lois du hasard,
1916) inaugurent la revendication, pleinement assumée, de l’œuvre
aléatoire en lui accordant une place de choix dans le processus de
création. Mais loin d'être habituel, l'usage de ce dernier ne se
généralise qu'après la seconde guerre mondiale. S'éloignant de
l'accident impromptu, Marcel Duchamp établit un protocole
précis et scientifique :
« Un fil de un mètre tendu à un mètre de hauteur, est lâché au-dessus d'un plan horizontal. L'opération est accomplie trois fois à chaque fois, les fils sont collés exactement tels qu'ils ont touché le support, sans que leurs méandres soient modifiés. Le tout est soigneusement conservé dans un coffret comme de nouveaux étalons de mesure qui, s'ils pervertissent la rectitude traditionnellement de mise, n'en restent pas moins de fidèles unités du mètre. »4.
La
même année, Duchamp conçoit Erratum musical dont la
partition est rédigée avec des notes tirées
au sort dans un chapeau. Pour ses collages Selon
les lois du hasard, Arp laisse
tomber des morceaux de papier déchirés sur une feuille, puis les
colle tels qu'ils se posent. Par la suite, le Surréalisme revendique
l'emploi du hasard, principalement autour de la notion de hasard
objectif d'une part et, d'autre part, celle d'automatisme, intimement
liée à celle de l'inconscient. Même si le « hasard »
peut revêtir des sens très différents les uns des autres
(déterminations inconnues d'un effet, zones d'ombre concernant
l'explication des événements, ce qui se soustrait à l'explication,
à la prévision, au contrôle), le hasard (« azahr » en
arabe, qui signifie « jeu de dés ») influe forcément,
pour une part, sur la création et fait inévitablement partie de la
vie. L'art ne peut pas échapper aux aléas. Plusieurs théoriciens
ont travaillé sur les enjeux et conséquences liées au hasard dans
l'art : Gombrich comme nous venons de le voir pour la
projection, Henri Focillon pour l'irruption de l'inattendu (Éloge
de la main, (1934)) ou encore
Umberto Eco avec sa notion d'Oeuvre
ouverte
(1962) et la multiplicité des
interprétations par exemple.
En
effet, Henri Focillon, dès 1943, vantait les mérites de
« l'irruption de l'inattendu »5
en s'appuyant sur l'histoire de Protogène. D'après lui, la forme
incontrôlée doit être considérée comme un stimulant pour
l'imagination. Elle n'est pas un échec, au contraire, celle-ci est
l'occasion, pour l'artiste, de s'ouvrir aux évocations qu'elle
entraîne. « À mesure que l'accident définit sa forme dans
les hasards de la matière, à mesure que la main exploite ce
désastre, l'esprit s'éveille à son tour. »6.
Et en 1962, Umberto Eco se penche sur l'indétermination de la vision
et la multitude d'interprétations possibles d'une même œuvre.
L’imprécision d'une forme ne peut que suggérer ; ce qui
caractérise « l’œuvre ouverte » est qu'elle recherche
cette imprécision pour elle-même ; il affirme « Pour
réaliser l’ambigüité comme valeur, les artistes contemporains
ont souvent recours à l'informel, au désordre, au hasard, à
l'indétermination des résultats »7.
L'idée
d'ouverture de l’œuvre est basée sur une ambigüité foncière
qui fait sortir de la fixité de la perception. La machine
tinguelienne est un stimulant pour l'imagination. Le hasard, chez
Tinguely, est explicitement aménagé au sein du processus de
création. Il se niche dans les engins motorisés, principalement,
d'abord par le jeu laissé dans les engrenages, lequel produit des
mouvements, des sons, et prend l'apparence, sinon de happenings, au
moins de spectacles. On le retrouve, également, dans le procédé
d'objectivation qu'il rend possible lorsque l'artiste prélève des
objets dans une décharge par exemple ; on le retrouve aussi
dans l'improvisation et la participation du spectateur. Bien que
Tinguely lui accorde une place importante, le hasard n'est pas chez
lui le seul élément de création ; c'est
ainsi que d'une part, les objets trouvés ne sont pas pris / choisis
au hasard et, d'autre part ne sont pas assemblés au hasard non plus.
L'artiste fait souvent des dessins préparatoires qui indiquent les
grandes lignes de ce qui sera réalisé, qui lui donnent une idée du
résultat. Mais l’œuvre tinguelienne affiche, non sans
provocation, ce qu'elle doit à l'incontrôlé, dans la manière dont
elle est faite, la détermination de ce qu'elle produit et la manière
dont elle est perçue.
« Je travaille beaucoup avec des choses que je n'ai pas digérées, je ne sais pas toujours ce que je fais, je me laisse aller. Je perds le contrôle et quand je place une roue orange à côté d'une plaque rouillée ça fonctionne avec les racines et l’orange qui vient là. Tout ça c'est un ensemble – c'est une réalité que je fais fonctionner. »8.
Le
hasard fait phénomène dans les années 19609
et l'aléa est mis en avant, de façon explicite, à Paris comme à
New York. La plupart de ces œuvres revendiquant un caractère
aléatoire furent crées dans un laps de temps très court,
principalement entre 1958 et 196210,
c'est-à-dire lors d'une période charnière entre l'apparition du
Nouveau Réalisme, des happenings new-yorkais et de Fluxus. Les
facettes du hasard sont d'autant plus variées qu'il n'est
circonscrit ni à un mouvement, ni à une discipline. Au sein même
de l’œuvre tinguelienne, celui-ci recouvre également de nombreux
aspects.
La
notion d'automatisme, dans l'art, trouve ses origines dans le
Surréalisme qu'André Breton définit en 1924 comme un « automatisme
psychique pur »11.
L'automatisme surréaliste repose sur « l'absence de tout
contrôle exercé par la raison »12,
que ce soit pour créer une image ou un texte. C'est le
déconditionnement de l'artiste au moment de la création qui
importe. Les artistes qui se livrent à l'automatisme, se permettent,
selon les termes de Roger Caillois, « de refuser toute
intervention réfléchie ou dirigée, de renoncer de parti pris aux
avantages que procurent l'ingéniosité, la méthode, la
persévérance, la maîtrise13.
Au
début des années 1960, la peinture gestuelle apparaît comme un
procédé au sein duquel la vitesse d’exécution s'avère
déterminante pour que l'esprit ne soit pas rattrapé par la raison
et que la réflexion face place à l'improvisation. Cette peinture
est donc appréhendée via l'idée d'une lucidité altérée et d'une
exécution rapide. Mais la machine-sculpture est-elle
une surprise pour son créateur ? Est-ce que le processus de
création de Tinguely, pour les sculptures, est un automatisme ?
À
priori, seule les mécanismes sont automatiques. Tinguely réalise le
plus souvent des schémas préparatoires et, lorsque ce n'est pas le
cas, même s'il dit ne pas savoir pourquoi il fait les choses, la
collecte et l'assemblage d'objets demande un temps suffisamment long
pour qu'il ne s'agisse pas d'une action non contrôlée. Tant que sa
sculpture est considérée comme objet fixe, l'artiste sait comment
il la réalise, mais une fois qu'elle est mise en mouvement, il ne
contrôle plus ce qui se passe.
Ce
qui dérange alors est le fait que les dessins, produits par ces
petites machines d'apparence bricolée et instable, sont différents
à chaque fois qu'une nouvelle feuille de papier sort. Cet aspect
aléatoire établit une parenté avec la peinture et le doute
s'installe à l'idée qu'une machine puisse avoir une personnalité,
ce qui entraîne, non sans ironie, la question de la nature
automatique d'un Pollock ou d'un Mathieu. L'automatisme est révélé
dans ce cas par l'accident.
L'emploi
du hasard dans le processus de création (utilisations d'objets
manufacturés, rebuts, trouvés dans des décharges, jeu dans les
engrenages) est garant d'une certaine objectivité. Comme la machine
est en marche, les accidents ne sont pas les effets de l'état
psychique de Jean Tinguely. La subjectivité de l'artiste ne prend
place qu'avant le moment où la machine est mise en fonctionnement.
Le travail d'artiste consiste
alors, essentiellement, à mettre en œuvre les conditions
d'apparition des mouvements, des traces picturales et/ou sonores.
Chez Tinguely, il n'y a pas d'abandon de la gestuelle à proprement
parlé, d'abord parce qu'il construit la sculpture et, ensuite, parce
que les machines font des mouvements et non des gestes. Ces
réalisations ne peuvent pas être expressionnistes car ce sont des
machines, dépourvues donc de psychisme. Les premiers Moulins
à Prière de 1954 font découvrir à Tinguely un mécanisme dont
le but n'est pas la précision mais l'anti-précision, c'est la
mécanique du hasard. Duchamp qualifia certaines de ses propres
œuvres de « hasard en conserve », Tinguely, lui, étudie
le « hasard en action ».
Les
machines de Tinguely sont plus des anti-machines que des machines. En
effet comme le précise Pontus Hulten14,
ce que l'on recherche d'ordinaire dans une machine c'est, d'une part
la régularité et, d'autre part, la précision. Ce que cherche
Tinguely, c'est le désordre mécanique. L'artiste crée des machines
qui sont des systèmes dynamiques, alliant récurrence et présence
de la sensibilité, aux conditions
initiales. Cette sensibilité explique le fait que, pour un
système chaotique, une modification infime des conditions initiales
peut entraîner des résultats imprévisibles sur le long terme. Ces
deux propriétés entraînent un comportement extrêmement désordonné
que l'on peut qualifier de « chaotique ». Les systèmes
chaotiques s'opposent notamment aux systèmes intégrables de la
mécanique classique, qui furent longtemps les symboles d'une
régularité toute puissante en physique théorique. Les créations
tingueliennes ne sont pas précises, mécaniquement parlant, même si
son art repose sur la répétition et le mouvement perpétuel de la
roue, il n'y a, comme nous l'avons vu, ni commencement ni fin, ni
passé, ni futur. Le spectateur assiste à une transformation
perpétuelle. Pontus Hulten a relevé, fort justement, que l'art de
Tinguely apparaissait comme « la matérialisation exemplaire du
relativisme »15 ;
à propos des Méta-Malevitch le critique dira :
« On peut calculer la périodicité des reliefs. Il est prouvé, par exemple, qu'en fonctionnant sans répit, l'un d'entre eux répétera la même constellation au bout d'un an environ. Mais les embrayages se faussent ; peut-être les formes reprendront-elles leur position initiale au bout de deux mois, peut-être dans plusieurs siècles. C'est d'un relativisme exemplaire. »16.
Même
si les travaux de Tinguely expriment l'usage délibéré du hasard,
ils diffèrent de ceux de Marcel Duchamp, par exemple (comme le
Hasard en conserve), car ses créations sont en mouvement.
Nous pouvons même dire que ses créations dépendent de ce hasard,
car celui-ci participe pleinement de ses créations. Hulten voit dans
cette part de liberté, une liberté qui dépasse celle des êtres
humains :
« […] Ses travaux sont de la chance en action. Ils dépendent de hasards merveilleux. Ils vivent dans une liberté que l'on peut envier. Ils se tiennent au-delà du cadre des lois et des systèmes. Ils incarnent dans sa pleine beauté, l'anarchie intégrale. C'est là un art totalement révolutionnaire, plus libre que nous ne pourrons jamais espérer l'être nous-même. Il n'est pas interdit de le prendre pour un fragment d'existence pure qui aurait réussi, par-delà la vérité et le mensonge, à déserter le royaume du bien et du mal. »17.
Dès
1954, le mouvement des œuvres de Tinguely est régi par le hasard.
Intimement associé à la mobilité de ses constructions, il est un
élément fondamental de son travail. L'artiste suisse a exploité
les possibilités d'un principe mécanique favorisant l'irrégularité,
les variabilités du mouvement et de ses combinaisons.
Comme
le relève Pierre Saurisse, Tinguely est une figure privilégiée
pour comprendre le renouvellement du statut de hasard à la fin des
années 1950. Ses œuvres regroupées en plusieurs séries, bien que
dérivant pour la plupart d'un même principe mécanique, traduisent
à la fois une réaction à l'encontre d'un académisme du hasard, et
indiquent une autre voie où le ludique l'emporte sur le
spectaculaire18.
La
sculpture tinguelienne, à l'image d'un organisme vivant, est mobile,
a une durée et se transforme ; elle est une forme en devenir,
capable de surprises et d'imprévus.
Le
mouvement des œuvres de Tinguely est fondamentalement associé au
hasard, à l'accident, à l'aléa, à l'incertitude de ce qui
advient : hasard dans le processus de création, hasard que ces
réalisations produisent en tant que dispositif, hasard lié à la
manipulation qu'en fera le spectateur ; de plus, dans le cadre
d'une manifestation organisée dans le but de placer le spectateur
face à ce qui détermine le hasard, l'artiste favorise l'apparition
de ce dernier. Du fonctionnement aléatoire de ses machines, Tinguely
disait :
« Je fais éclater les rapports de précision […] j'introduis des hasards dans le machinisme exact. »19.
La
situation est, ici, bien différente de celle qui caractérise les
« vraies machines » où c'est la régularité qui domine.
Ce rôle du hasard avait déjà été signalé par Pontus Hulten,
dans son texte de présentation de l'exposition Peintures
cinétiques (Paris, 1957), où il parlait du « désordre
mécanique », de « hasard en fonction »,
« d'anarchie intégrale, dans toute sa beauté » et des
engrenages de ses peintures (qui) n'ont pas d'autre précision que
celle du hasard.20
La
démarche tinguelienne semble être entendue comme une entreprise
systématique de « déconstruction » de la machine, au
service de la revendication de l'accident comme affirmation d'une
liberté qui s'oppose à un monde toujours plus organisé. En effet,
si l'artiste affirme la prévalence de l'action sur l'objet, c'est à
plusieurs niveaux : lors de la phase de réalisation des
sculptures d'abord, puis ensuite, dans le fait qu'une fois mises en
marche et sur la base des différentes interprétations qu'elles
provoquent chez les spectateurs, ces œuvres créent des situations
multiples en engageant la participation active de ceux qui sont en
face. La méta-machine tinguelienne voit sa forme modifiée, d'une
exécution à l'autre et à l'intérieur d'une structure globale.
Tinguely ouvre l'exécution à l'imprévu, que ce soit le sien, celui
de sa machine ou celui du spectateur. Mais l'indétermination n'est
pas synonyme d'improvisation totale. L'indétermination est la
condition d'une certaine liberté créatrice. Elle laisse de la place
aux opérations de hasard : celles qui interviennent dans la
composition de l’œuvre, dans son fonctionnement d'une part, mais,
également, à celles qui trouvent place dans l'interprétation faite
par le spectateur, car cette dernière est imprévisible dans son
contenu même, son rythme, sa durée, etc. Le hasard, par son
caractère totalement incontrôlable, apparaît, aussi et surtout,
comme un rempart contre la pression du pouvoir, quel qu'il soit.
Les
machines de Tinguely se dépensent sans compter, produisent des
mouvements chaotiques. Celles-ci peuvent être de redoutables
instruments d'analyse du langage plastique, poétique, philosophique,
tout en étant des prototypes donnant à voir le hasard en action
dans tout dispositif créatif : lorsque ce sont des machines à
peindre, elles restituent analytiquement les procédés de la
peinture, selon le schéma classique de la « déconstruction ».
Quand elles sont des Méta-Harmonie,
elles font de même avec la musique, quand elles sont des Baloubas,
elles le font avec la danse et quand elles s'adressent aux
Philosophes, elles éclairent le processus de notre rapport à la
pensé, et sa construction. John Cage voyait, dans l'emploi du
hasard, le partage des responsabilités. Boulez, quant à lui, y
percevait un travail de composition aux responsabilités qui
n'élimine, ni la rigueur, ni le choix car, justement, le choix
réside justement dans la nature des questions posées par l'artiste.
La question de la méthode est très importante lorsqu'il s'agit
d'avoir recours au hasard, dans la création artistique. Pour la
composition de musique aléatoire, Pierre Boulez admet qu'« il
est logique de rechercher une forme qui ne se fixe
pas, une forme évoluante qui se refusera, rebelle, à sa propre
répétition ; en bref, une virtualité. »21.
Mais Boulez relève la contradiction d'une telle issue qu'il
considère être une impasse à la composition de musique aléatoire.
Il lui apparaît nécessaire de trouver des moyens de maîtriser le
hasard, de délimiter le périmètre dans lequel son action pourra
librement avoir lieu. C'est pourquoi le compositeur autorise à
l'interprète une certaine liberté concernant la lecture de la
partition, sans, non plus, lui permettre l'improvisation :
« cette liberté a besoin d'être dirigée, d'être projetée
car l'imagination « instantanée » est plus susceptible
de défaillances que d'illuminations22.
Comme Boulez, Tinguely reste maître du jeu parce qu'il conditionne
le cadre dans lequel pourra s'exprimer le hasard. Il décide des
limites et des contraintes auxquelles devra se plier l’exécution.
Le hasard est donc dirigé. Il y a du jeu dans les engrenages, mais
justement il y a des engrenages, et une structure qui les reçoit.
Dans cette mesure, la machine est limitée et limitante. C'est pour
cela qu'on ne pourra pas faire sortir d'une Méta-Harmonie
un son d'oiseau, ni faire accomplir une rotation au piano. Le hasard
est modéré. La méta-machine tinguelienne peut faire varier
infiniment les combinaisons, mais à l'intérieur d'une structure
déterminée. L'apport majeur de Jean Tinguely est ici lié au fait
que l'artiste favorise la prolifération anarchique du hasard. C'est
ce qui permet de dire que la machine est « libre », elle
semble pouvoir improviser et opérer des choix. Le hasard peut
s'exprimer au sein des micro-structures de l’œuvre, car chacune
des variations, en s'accumulant aux autres, crée un nouveau résultat
à chaque instant, car le système est constitué de micro-systèmes.
L'ensemble est formellement bien orienté par Tinguely qui
conditionne les possibilités de résultats. Même s'il est évident
que son comportement est imprévisible, un Balouba
ne va pas s'envoler, toutefois, il n'est imprévisible que dans une
certaine mesure, c'est-à-dire dans la mesure ou à l'actualisation
de l'imprévisible répond la potentialisation du prévisible.
Le caractère phénoménal de
l’œuvre apparaît être sa condition d’existence. Elle est en
action. Mais le phénomène Tinguely se mesure aussi à la réception
des performances de ses machines par le public.
1E.
H. Gombrich, L'Art et l'illusion : Psychologie de la
représentation picturale, trad. Guy Durand, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1987,
p.234 (1960).
2Ibid.,
p. 235.
3Jean-Claude
Lebensztejn, L'Art de la tache : Introduction à la nouvelle
méthode d'Alexander Cozens, Montélimar, Editions du Limon,
1990, p.132.
4Marcel
Duchamp, Duchamp du signe, écrits réunis et présentés par
Michel Sanouillet, Paris, Flammarion, 1976, p.36.
5Henri
Focillon, Vie des formes. Éloge de la main, Paris, Quadrige
/ Presses universitaires de France, 1981, p.121 (1943).
6Ibid.,
pp.123-124.
7Umberto
Eco, L'Oeuvre ouverte, trad. Chantal Roux de Bézieux avec le
concours d'André Boucourechliev, Paris, Éditions du Seuil, 1965,
p.9 (1962).
8Tinguely,
réalisé par Jean-Denis Bonan, bibliothèque publique d'information
du centre Georges Pompidou, 1988.
9Voir
à ce propos : Pierre
Saurisse, La
mécanique de l'imprévisible, art et hasard autour de 1960,
L'Harmattan, Paris, 2007.
10Ibid.,
p.21.
11André
Breton, « Manifeste du Surréalisme » (1924), in
Manifestes du Surréalisme, Paris, Pauvert, 1979, p.35.
12Idem.
13Roger
Caillois, Esthétique généralisée, Paris, Gallimard, 1962,
p.15.
14Pontus
Hulten in « Le Mouvement », Ed. Denise René
« Tinguely » cité in Robots Sculptures –
Les machines sentimentales, catalogue de l'exposition du Centre
national de Recherche, de Création et d'Animation de
Villeneuve-lez-Avignon à La Chartreuse, juin 1986 – mars 1987,
p.90.
15Ibid.
16Pontus
Hulten, « La liberté substitutive ou le mouvement en art et
la « méta-mécanique » », dans le catalogue de
l'exposition Jean Tinguely, Paris, Ed. du Centre Georges
Pompidou, Musée national d'art moderne, 1988, p. 34 (Kasark,
n°2, octobre 1955).
17Pontus
Hulten in « Le Mouvement », Ed. Denise René
« Tinguely » cité in Robots Sculptures –
Les machines sentimentales, catalogue de l'exposition du Centre
national de Recherche, de Création et d'Animation de
Villeneuve-lez-Avignon à La Chartreuse, juin 1986 – mars 1987,
p.90.
18Pierre
Saurisse, Les 6 faces du dé : Le jeu des hasards
dans l'art autour 1960, thèse
de doctorat en Histoire de l'art contemporain, soutenue à
l'Université de Rennes 2, sous la direction de Jean-Marc Poinsot,
2002, p.56.
19« J'introduis
des hasards dans le machinisme exact », interview accordée à
l'occasion de l'exposition Jean Tinguely, Fribourg – Moscou –
Fribourg, figurant dans un opuscule pédagogique édité à
cette occasion par le musée d'art et d'histoire de Fribourg, 1991.
20K.
G. Pontus Hulten, Tinguely,
catalogue de l'exposition qui s'est tenue du 8 décembre 1988 au 27
mars 1988 au Centre Georges Pompidou, musée national d'art moderne,
Paris, Ed. du centre Georges Pompidou, 1988, p.68.
21Pierre
Boulez, « Aléa », dans Relevés d'apprenti,
textes réunis et présentés par Paul Thévenin, Paris, Éditions
du Seuil, coll. « Tel quel », 1966, p.45 (Nouvelle
Revue française, novembre 1957).
22Ibid.,
p.48.
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