C’est
une véritable respiration que nous propose Jacinto Lageira dans son
ouvrage Regard oblique : essais sur la perception. Dans
un premier temps, l’auteur convoque, rassemble, condense des
références théoriques sur le sujet de la perception (Maurice
Merleau-Ponty, Gaston Bachelard, mais aussi Robert Morris, entre
autres). L’esthéticien dresse un panorama du sujet et, dans les
essais qui viennent ensuite en enrichir la connaissance, nous invite
à souffler, à élargir le regard en l’orientant vers une variété
de pratiques et d’artistes sciemment sélectionnés (Marcel
Duchamp, Giulio Paolini, Pep Agut, Thierry Kuntzel, Michael Snow,
Peter Campus, Claire Savoie, James Coleman, Angela Detanico et Rafael
Lain, James Turrell, Anthony McCall, João Fiadeiro et Julião
Sarmento). Il serait peut-être plus juste de dire qu’à la lumière
du premier essai (« Ouverture : dédoublement de la
perception », p. 7-54), l’auteur nous invite à éprouver
l’expérience de l’art, pour ensuite revenir au texte et relire
l’ouvrage en boucle. Le « regard oblique » est actif à
plusieurs niveaux : il s’agit de celui du lecteur tout
d’abord, celui de l’auteur qui oriente, puis celui que Marcel
Duchamp encourage dans sa dernière œuvre Etant Donnés
(titre qui aurait pu être attribué à cet ouvrage) et dont Jacinto
Lageira résout habilement certaines énigmes. « Regard
oblique », encore, de l’Hortus Closus de Giulio
Paolini, que l’on regarde regarder. Le jeu du regard se prolonge
ainsi tout au long du parcours et même après. L’auteur explicite
les processus dynamiques de la pensée, tout en nous faisant prendre
conscience que le texte est figé, lui. C’est par ailleurs sa
poésie, ses multiples rapports au corps, aux jeux de mots et aux
traits d’humour subtils qui font de ce livre une merveille. La
réussite est telle qu’à certains moments, le lecteur prend
conscience que le regard qui parcourt les lignes ne lit pas, il
danse. Et il est bon de se rendre disponible aux sensations que
provoquent le papier sous les doigts, à l’incidence de la lumière
sur les pages, à la plénitude en quelque sorte du présent. Jacinto
Lageira invoque de nombreux détails, renvoie à ce que nous avons de
très intime, sans jamais rendre cela anecdotique. L’esthéticien
analyse, précise, ajuste, toujours avec une grande subtilité. Ici,
l’exhaustivité est qualitative. La générosité de l’auteur se
lit à la fois dans le volume et la qualité du travail de synthèse,
de recherche et d’analyse qu’il a produit, ainsi que dans sa
capacité à expliquer clairement ce qui relève de la complexité
–que ce soit à propos d’artistes reconnus (des arts plastiques
ou du champ chorégraphique) ou de représentants de la jeune
création sur laquelle il existe encore très peu de textes
théoriques. Dépassant la forme habituelle d’un livre d’érudition,
l’auteur allie la rigueur scientifique à la profondeur, la
sensibilité et l’humour. Les chemins empruntés orientent le
lecteur vers une évidence que l’on aimerait vivre plus souvent
dans des lectures dédiées à l’esthétique et à l’art
contemporain.
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